mardi 29 décembre 2009

J’étais invité à une fête de Radio Nova où je savais que s’y trouverait le Chanteur. Dans les locaux de la radio, étaient projetées des images des ravages du cyclone Katerina à la Nouvelles-Orléans. J’étais mal à l’aise : j’avais un sentiment de culpabilité, éprouvais une part de responsabilité dans la naissance de cette catastrophe, tout comme je ne me sentais pas étranger à l’irruption du tsunami, ce qui pouvait me faire dire que je pouvais être un monstre sans le vouloir.
Je ne connaissais personne à part le patron qui s’était absenté. Un de ses adjoints m’approcha :
- Dominique, ça tient toujours notre projet de faire un film sur toi !
Il n’en avait jamais été question à Nova. Je répondis oui machinalement.
C’était bizarre cette ambiance. J’essayais d’adresser la parole aux uns et aux autres, ils détournaient tous la tête.
J’aperçus le Chanteur dans un couloir. Il était habillé d’une tunique verte de pilote militaire et d’une vareuse de combat. Un homme en cravate l’interviewait avec une caméra. Je me tins derrière lui pour faire des grands signes au Chanteur. Il fit mine de ne pas me voir, puis s’enferma dans un bureau vitré avec trois personnes qui semblaient l’écouter comme un chef.
Je n’avais jamais vu de ma vie une fête où les gens étaient aussi obtus. Il se trouva juste un jeune homme, assez beau, qui se présenta comme un activiste d’un gang de perceurs de pneus de 4x4. Il était insatiable, assez frimeur, pas très aimable : c’était les seules paroles que j’ai entendues de la soirée.
J’empruntais l’escalier de service. En descendant les six étages, une ribambelle de tags fraîchement peints m’indiquaient toutes les trois marches : RDV à Barbès cette nuit. A la sortie se tint le Chanteur, en position de cador, sa femme légèrement en retrait. Il haussa le menton pour me lancer moitié menaçant :
- Tu vas voir, toi…
Immédiatement j’eus ma réponse automatique :
- Ouais c’est ça…
Il avait une sorte de colère contenue, une violence et une douceur aussi quand il me surprit en m’assénant sur un ton très convaincu, absolument sûr de lui :
- Maintenant, c’est le moment. Tu vas voir, tu vas la manger ta merde.
Et moi, ne comprenant rien, je déclenchai toujours le réflexe acquis :
- Ouais, c’est ça, oui !
Je filai à Barbès. Il était trois heures du matin. De nouveaux graffitis étaient peints sur les murs. Je m’échinais à les interpréter mais c’était peine perdue. Ils me faisaient sentir que le rendez-vous avec le Chanteur était imminent.
Il n’y avait pas un chat. Il faisait doux. Mon regard s’attardait sur les noms des bars, restaurants, « Au plaisir de Tizi Ouzou », « Aux délices d’Oran », des affiches de Nouakchott, d’Agadez, de désert, des marchands de couleurs, des épiceries arabes dont l’une était ouverte, des salons de coiffure avec des perruques, des agences de voyage pour l’Afrique, des taxi-phone aux photos défraîchies. Défilaient La Mecque, Abidjan, Alger, Blida, Ouarzazate, Annaba, Sidi-Bel-Abbès, Chlef, Bejaïa. Deux ou trois dealers se tenaient bien tranquilles.
Un homme portant une djellaba me croisa avec superbe en traînant des savates. Sur mon MP3, j’écoutais Cabu raconter son amour pour le jazz. Des femmes africaines aux cheveux bouclés et aux traits harmonieux marchaient dans des ondulations hypnotiques. Une odeur de mafé flottait, mélangée à celle d’un couscous aux grains d’orge quand je surpris le dôme de Montmartre.
Des immeubles étaient défoncés. Leurs fenêtres avaient des papiers de couleur sur les carreaux. D’autres habitations neuves et rares étaient encerclées par la mosaïque d’édifices qui forçaient le respect tant ils portaient en eux l’histoire de ces hommes venus du Sud, de ces travailleurs isolés et discrets, tant ils respiraient enfin la vie libérée dans ce petit bout de Paris, femmes et enfants retrouvés, faisant pousser des fleurs et des petits bouts de verdures. Je me surpris à déguster la fraîcheur de minuscules jardins entre deux enseignes dont le nom m’écrasait de la chaleur du Sahel.
Les écoles maternelles et primaires fleuraient la belle France, celle qui m’apaisait, me rendait fier, rassuré, émerveillé : j’imaginais des enfants blancs, maghrébins, africains s’égayer et flotter dans l’innocence. Ils avaient peint de grands dessins sur les murs. Je fus saisi par l’émotion, une sorte de réconfort, l’évidence de la beauté. Je pleurais.
C’était un bel endroit pour un rendez-vous. Je me disais que le Chanteur avait la classe. A 7 h du matin, il n’était toujours pas là. J’avais dérivé vers les puces de Clignancourt, le cherchant désespérément dans le labyrinthe des allées.
Je me demandais bien quelle merde, il avait voulu me faire manger.

Champs Elysées

Sorti du porche de l’Assemblée nationale, je décidai de traverser la Seine. Place de la Concorde, je m’arrêtai au pied de l’obélisque. Je remarquai qu’à son extrémité figurait une gueule de chat tordue. Elle évoquait la bouche pulpeuse et parfois grimaçante de Nordine, mon compagnon de route du quartier qui m’avait fait croire qu’il avait suffisamment d’entregent pour convaincre le Chanteur de me rencontrer. Le chat, dernier personnage de l’obélisque, représentait pour moi le début de l’éternité. C’était vraiment une caricature de Nordine et je me disais que j’étais sur la bonne piste.
Fort de mes pouvoirs, je me racontais que j’étais suffisamment en position de faire arrêter le président Chirac. J’imaginais que des magistrats avaient entretemps accumulé des preuves pour haute trahison de l’Etat dans des affaires de corruption, de ventes d’armes, je ne savais pas moi, c’était les magistrats, je le sentais, qui avaient découvert le pot-aux-roses.
Moi l’homme (femme ?) aux pouvoirs encore flous de l’atome et du magnétisme, je décidai de m’installer au pied de l’obélisque. Je posai une boîte d’allumettes en trois endroits différents et les allumai. Je m’allongeai au centre du triangle. Je fixai l’Elysée et imitai le cri nasal du chat très en colère. J’étais le superchat qui se voyait superman-woman. J’étais certain que ça allait impressionner Chirac, qu’il allait baisser la garde, que des hiérarques de la préfecture de police allaient se présenter pour lui signifier son arrestation sur une base constitutionnelle.
D’ailleurs un fourgon de policiers passa par là. Les flics me regardèrent faire et décidèrent de poursuivre leur route. Je continuai, répétai de plus en plus fort le cri du chat et j’imaginais du feu sortir de mes yeux. Je ne voyais aucun signe d’agitation autour du palais de l’Elysée. Le bougre, il tenait encore. Il fallait que je redouble d’énergie. J’allumai des cigarettes un peu partout autour de moi, contemplais l’obélisque, en appelai aux forces de la vie et de la mort. Je voulais vraiment lui faire passer un sale quart d’heure.
Un soir alors que j’étais à Téhéran, un diplomate mitterrandien l’avait accusé d’avoir livré au pouvoir iranien armes et argent pour faire libérer les otages du Liban entre deux scrutins électoraux. Je n’avais jamais pu vérifier cette histoire (je n’en avais pas envie d’ailleurs, trop fatigué par toutes ces histoires de services secrets) mais je le sentais pas blanc comme neige le Chirac.
Et là, je poussai un cri de loup. Je contractai mes muscles au maximum. Je concentrai mon regard sur l’Elysée. Je crachai dans sa direction. Je fis pipi sur l’obélisque en croyant déclencher une réaction chimique. J’en avais marre : je décidai de prendre un thé au Crillon avec mes pieds nus. Un beau Black me dit, à l’entrée: non pas cette fois-ci, désolé.
Je fis route sur le palais de l’Elysée. Devant le porche, rien d’anormal. Moi je répétai :
- Tu vas finir en prison !
J’entrai dans une boutique d’antiquités chinoises et je sentis que la vendeuse était prête à m’expulser. Je cherchais à gagner du temps et j’imaginais Chirac regarder son écran d’ordinateur car j’étais désormais persuadé que je n’étais pas retransmis à la télé mais via Internet. J’insistai pour qu’on me présentât une série de coupoles mises sous clé ainsi qu’un paravent.
Debout devant le ministère de l’Intérieur, je ne sentis aucun frémissement. J’entrai dans une boutique de tissus précieux. Le couple de propriétaire me reçut avec tous les honneurs possibles, ce qui m’étonna vu mes pieds nus.
- Tenez cette étoffe. Elle est magnifique. Elle est vraiment faite pour la beauté des femmes. Elle vous irait très bien.
Toujours flatté qu’on me prenne d’emblée pour une femme, je sortis immédiatement ma carte bleue. Le tissu coûtait 1000 euros mais j’étais subjugué par sa beauté.
Je marchais devant le palais de l’Elysée, le tissu soigneusement déroulé sur mon corps. Et je lui dis :
- Regarde comme je suis belle. Je sais que tu as voulu jouer au pervers avec moi. Tu ne m’auras jamais.
Il fallut que je rentre chez moi. J’avais d’autres idées pour faire valoir mes compétences fraîchement découvertes.

lundi 28 décembre 2009

La marche sur Paris

Le lendemain, je regardai mon tapis iranien que des marchands du bazar d’Ispahan ne me firent jamais payer et qui reproduisait des motifs primitifs de la culture perse avant son islamisation. Mes yeux se fixèrent sur un motif qui avait à la fois la forme d’un bijou et d’un atome. Il y avait aussi une sorte de martienne, grosse tête à trois pattes qui voulait forcer la paroi d’un plafond à côté d’un archevêque qui se tapait un doigt sur la tempe en semblant lui dire : « ça ne va pas la tête ».
Je décidai de sortir et découvris un pouvoir extraordinaire : je marchai exactement au milieu du trottoir. Cette équidistance était régulière, invariable. Quand je contournais un obstacle, mes pieds réempruntèrent une ligne qui séparait le trottoir en deux espaces similaires. Cette mécanique m’impressionnait tellement que je descendis de Gambetta vers les grands boulevards, traversant des marchés, des foules pour retrouver le même milieu du trottoir. Personne ne pouvait contrarier cette nouvelle spatialisation.
Je pensais qu’un QG au journal était installé pour suivre mes évolutions sur écran et je portais toujours en exergue le journal Le Monde en guise de publicité au cas où j’étais filmé pour capter les nouvelles compétences de mon cerveau.
Je commençais à voir des peintures primitives extraordinaires dans le relief du bitume. Je repensais aux théories du groupe de ragga-muffin le Massilia Sound System qui consistaient à convaincre les gens qu’ils pouvaient considérer beau chaque endroit où ils vivaient.
J’écrivais des textes dans ma tête qui appelaient à chercher de l’harmonie où quelle soit. La ville était belle, recouverte d’accidents dans les murs, les chaussées, les bandes de passage piétons qui laissaient entrevoir des canyons, des gueules de loups, des monstres préhistoriques, des vulves de femmes, des sexes masculins, des djinns, des druides, des grattes ciels interminables, des voitures aux étranges formes, des astres extraordinaires et des visages de lune insoupçonnés.
Je fatiguais mais je n’en revenais toujours pas de ma découverte. C’était tout de même incroyable de marcher au milieu du trottoir en toute circonstance et en tout lieu, les yeux fermés ou la tête tournée sur les côtés. J’avais la même sensation de semelles de plomb qu’au cimetière. Je me considérais toujours comme un être humain mais je devais me plier à l’évidence que je développais des pouvoirs d’extra-terrestres.
C’était pour moi une bonne nouvelle. Je voulais les mettre au service de toute l’humanité et j’étais résolu à utiliser ma position pour exiger davantage de justice sociale, la libération des banlieues de leur apartheid, le soulagement des chômeurs, une démocratisation de l’information, de la diffusion des savoirs, la fin de l’académisme, de la Restauration et des cooptations bourgeoises, bref une révolution de velours qui ne serait pas moins d’abroger les discriminations ethniques, sociales, de faire autant d’ascenseurs sociaux qu’il n’y a de citoyens en difficultés et cultiver le goût des pépinières d’artistes, les véritables antennes de notre temps, de chérir les singularités, d’encourager les talents quels qu’ils soient sans l’aune des critères vermoulus qui dominent encore la France.
Atome, marches à équidistance : j’étais sans doute fait pour permettre de grands bons technologiques et scientifiques. Ma grande crainte était qu’elle ne s’accompagnât pas d’un minutieux travail de conscience, d’alerte, de protection des individus pour éviter les barbaries du XXe siècle. Et je pensais à tous ceux qui ont réfléchi sur ces questions pour qu’ils travaillent de façon collégiale sur la question. Moi qui avais sillonné les guerres pour mon journal, j’étais exalté à l’idée de pouvoir désamorcer les bombes nucléaires et conventionnelles. Il restait à réinventer la politique, la République.
Je franchissais la Seine, empruntais le boulevard Saint-Germain jusqu’à son extrémité. J’avais enlevé mes chaussures car mes pieds avaient grossi. Je marchai à pied jusqu’à l’Assemblée nationale. Je croyais être reçu comme un prince puisque je voulais remettre mes compétences à la nation. J’imaginais reposer mes pieds meurtris sur d’épaisses moquettes rouges.
On me stoppa net à l’entrée.
Je pensai au Chanteur. C’était lui qui menait la danse. Sans son sésame, pensai-je, le monde ne serait pas le Nouveau Monde.

dimanche 27 décembre 2009

Une découverte atomique

Je sortis du bar. J’étais troublé par le fait de me balader avec une paille sur le doigt pendant des heures sans pouvoir la faire tomber, moi qui était du genre gogol avec les objets.
Je m’arrêtai chez le premier fleuriste de l’avenue du Père-Lachaise. Je commandai un immense bouquet pour mes parents. Le fleuriste, un petit homme à lunettes, était surexcité. Je croyais qu’il jouait un sketch. Il rajouta trois lettres à mon nom. L’adresse de mes parents était rue du Ruisseau. Il notait rue du Luiseau. Je rectifiai. Il écrivit rue du Muiseau. Je m’énervai. Il corrigea rue du Rasseau. Il écorcha les numéros de téléphones, sauf le mien. Je finis donc par payer en comptant me plaindre à Interflora avec ma facture. Les fleurs arrivèrent malgré la mauvaise adresse.
Je poursuivis mon chemin jusqu’à l’entrée du cimetière du Père-Chaise. Une étrange force magnétique bourdonna dans mes pieds. C’était comme si j’avais des semelles de plombs qui guidaient mes pas.
Je m’arrêtai au jardin du souvenir, contempla les fleurs, et réfléchit sur cet endroit : le souvenir de plusieurs disparus, de tous les êtres chers en même temps, d’une génération, d’une humanité. Les roses étaient belles.
Je descendis la rue pavée entre deux colonnes d’arbres quand les statues du Mémorial de la Shoah m’arrêtèrent net. Les silhouettes décharnées sculptées dans le bronze montaient jusqu’au ciel. Je me mis à trembler. Il était inscrit : « Lorsqu’on ne tuera plus ils seront bien vengés. Le seul vœu de justice a pour écho la vie »
Une vague de sanglots m’envahit. Des spasmes, des hoquets, des sensations d’anéantissement et de chagrin incommensurable me faisaient divaguer. Je ne pouvais plus partir, je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer. Des éclairs me traversaient le corps, je me pliais en deux. Je ressentais la douleur de la perte au moment du dernier instant, comme lors de la mort de Raphaël, un copain mort du sida, ce moment multiplié par six millions, l’injustice, la haine et la déshumanisation qui avaient conduit à ce trou noir de la civilisation et allaient nous poursuivre par ses métastases, comme je l’avais deviné lorsque j’étais enfant.
Je dus me faire violence pour quitter l’endroit. Mon effondrement était tel que je me voyais passer des heures, la journée à pleurer et pleurer et lire encore cette citation : « Ils ont souffert et espéré. Toi combats pour ta liberté »
Je m’arrachai de là et tombai sur le Mur de La commune que je saluai. Je trouvai un peu de douceur sur la tombe de Paul Lafargue avec son « Droit à la paresse ». Puis mes jambes s’électrisèrent et me conduisirent à un carrefour. Ma tête se tourna à gauche et me fit violemment faire un quart de tour.
Je marchai au milieu de l’allée jusqu’à son extrémité. Je tombai sur une petite chapelle érigée en l’honneur d’un scientifique ayant fait découvertes majeures sur…l’atome.
Je retournai au carrefour. Ma tête me dirigea vers un autre carrefour qui m’aiguilla sur un troisième. Nouveau quart de tour. Je marchai droit devant moi et le cul de sac présentait la tombe d’un autre scientifique ayant fait bondir la recherche sur… l’atome.
Systématiquement, la force magnétique qui guidait ma tête et mes semelles de plomb me menait sur des tombes de découvreurs du monde atomique. Cette force voudrait-elle me signifier que j’avais quelque chose à voir avec le nucléaire ?
Je fis un nouvel essai et ça se confirmait : un directeur du centre de recherches atomiques !
Je serais un être paranormal, un être humain en chair et en os pouvant avoir une influence sur les forces atomiques : bombes, énergies, magnétisme.
J’étais sur le cul, contrarié de ne pas en savoir assez. Mais cette piste était assez insistante pour que je fus convaincu que « j’avais un truc ».
A l’entrée du columbarium, je fus saisi par une crise de larmes en imaginant le futur décès de ma mère puis la Shoah me revint. Je fis un discours sur l’industrialisation, le développement technologique et de la science sans conscience et crus que j’étais retransmis sur toutes les chaînes de télévision du monde entier parce que j’avais découvert que l’homme-femme-atome, c’était moi et qu’à l’instar du premier homme qui marcha sur la lune, j’avais ma petite importance en terme de désarmement et de source continue d’énergie.
Je m’adressai alors à chaque femme et homme de cette terre, leur demandant de s’enfermer dans une pièce, d’éteindre la lumière, la télé et de penser à chaque qu’ils ont commis une crasse à quelqu’un. Je voulais que chaque femme et chaque homme fut en mesure de faire la paix en rallumant la lumière.
Je me dis que le désarmement de chaque pays, de chaque milice ou groupe armée était à portée de ma main. J’étais convaincu que le partage des richesses irait de pair et que ce serait le début de l’Eden.
Je ne savais pas si j’allais le construire avec le Chanteur ou le Joueur. J’avais même oublié ce détail.
Je rentrai chez moi. Malheureusement, je m’aperçus que rien n’avait changé…

Initiations

Quand je me lavais les mains dans les toilettes des cafés, celles-ci s’affinaient sous l’eau et prenaient une couleur argentée. Les doigts s’allongeaient, la base se réduisait. Je voyais des mains de pharaonne briller sous les gouttes d’eau.
Je bus un thé et fit fondre un nougat. Le miel dissous, flottait le morceau de noisette qui avait l’allure d’un vaisseau au bois vermoulu, une découverte archéologique. J’y voyais une relique de l’Arche de Noë.
Je commandais un cocktail, mis la paille sur mon doigt. De toutes les manières, elle tenait en équilibre. Je me levais, rassis, me promenais dans tout le café, courait, stoppait net : la paille ne bougeait pas.
Je retournai aux toilettes, tandis que je lavais mes doigts de pharaonne, ma tête fut violemment projetée en arrière, m’obligeant à fixer un petit spot diffusant une lumière puissante. J’ouvris grands les yeux, j’eus le sentiment qu’il fallait que je m’habitue, on me filmait. Dans le miroir, mes yeux, d’habitude verts, avait la couleur dorée Grand Siècle.
Je remontai dans la salle. Dans ma tasse de thé, flottait toujours l’Arche de Noë. Ce symbole associé au pouvoir de la paille, à ces mouvements de tête incontrôlés qui voulaient me signifier quelque chose, me troublèrent. Les services secrets émettaient peut-être des puissances magnétiques telles qu’ils commençaient à faire de moi leur marionnette. Ou s’agissait-il d’une force carrément cosmique ? Les services secrets seraient-ils en mesure de capturer les images de ses effets sur moi ? Ces derniers se rendaient-ils compte que la planète était en réel danger de mort et qu’il fallait compter sur moi pour tenter de faire quelque chose ?
J’entrevoyais la menace d’une civilisation occidentale tant décrite par les films américains se projetant dans les années 2100, totalement barbare et déjantée. J’imaginais que le monde entier allait mourir sauf l’Afrique, le continent où tout pouvait recommencer.
Songeais-je à une guerre atomique, à un massacre écologique ? Ma place serait dans une forêt africaine, avec des rivières et des cascades et je serais peut-être un des derniers êtres humains vivant sur cette terre. On m’aurait donné du matériel ultra sophistiqué dont je n’imaginais pas les fonctions. On utiliserait mon expérience de reporter de guerre. Je devrais sauver ce qui reste de vie humaine, la mienne en dernier ressort, et émettre des signaux à je ne sais qui, qui ferait je ne sais quoi pour préserver des organismes vivants.
C’était flou dans ma tête, purement intuitif. Devais-je être le correspondant de services secrets réconciliés et puissants au point de regretter tous les dérèglements qu’ils sont suscités ou accompagnés et d’être désormais résolus à sauver les meubles c’est-à-dire ce qui peut encore rester de vie humaine, animale, végétale ? Où étais-je en liaison directe avec le cosmos qui m’envoyait de façon subliminale une supplique, une mission encore floue, une envie d’abandonner tout ?
Au bar, un rebeu bien sexy, le genre à travailler dans le show-biz, regarda mon cul et me dit :
- T’es bonne toi, je t’aurais un jour !
Je lui répondis :
- C’est ça, oui…
Il butine dans le décolleté de son amie en l’appelant bébé et ça me trouble. Il se retourne une nouvelle fois vers moi :
- Tu verras un jour, tu vas craquer.
Je descendis aux toilettes, m’enfermai dans une cabine, enlevai chaussures, chaussettes, jean et tirai quatre fois de suite la chasse d’eau.
J’enfonçai mes pieds à l’intérieur de la cuvette, actionnai la chasse d’eau à n’en plus finir pour me laver. Mon dos reposait contre le mur, la tête tendue vers le plafond, les yeux fermés. C’était mon premier conditionnement à la dure.
Je me voyais dans les savanes et les précipices et mon corps était souple, agile, véloce. Je réalisai que c’était celui de Laura Craft en Afrique. Laura Craft, c’est moi.

samedi 26 décembre 2009

Le Chanteur et le Joueur

- Tu es son ballon ! Tu es son ballon ! disait le Chanteur de rap.

Moi j’avais fait un simple cauchemar la veille. Je m’étais vu guillotiné et ma tête ensanglantée roulait entre les pieds du Joueur. Il faisait des dribbles invraisemblables et mon visage avait la langue tirée, les yeux exorbités, je me réveillai et écrivit un rap au Chanteur.

Je lui en avais déjà envoyé une bonne vingtaine.

Je le connaissais pour avoir travaillé avec lui. Je lui dictais mes raps sur le répondeur de son portable. J’étais tombé amoureux de lui, de sa finesse, de son élégance, de son rire d’enfant, de son africanité, de sa fulgurance de lézard, de sa culture du mot, de sa musicalité, de son goût pour l’exploit sportif et littéraire. Il était vraiment fait pour le dépassement.

Dans sa cité de la banlieue sud, il avait compensé le handicap de son petit gabarit par la technique du combat et la virtuosité des joutes verbales. Sur le plan de la composition, c’était un nouveau Gainsbourg ou un Trenet-danseur de hip hop, un Françafricain, la beauté du continent noir née dans la ceinture parisienne qu’il enjoliva de solides graffitis. Il était toujours dans une recherche, l’esthète…

Il avait le succès milliardaire, l’appartement Art Déco, la vie de jet-setter, ayant gardé de ses années de vache maigre le sens de la dérive, l’invention dans l’urgence, le goût de l’innocence, ayant acquis pendant le triomphe l’aisance sans la suffisance, une immunité contre le mauvais goût et cette volonté de croiser les milieux et les cultures…tout en ayant fait un excellent mariage.

Il me parlait de son fameux bar-tabac Le Balto, à deux pas de chez lui. Il aimait me répéter qu’il y tenait des rencontres informelles avec des gens « venus de mondes très différents ». Il me dit plusieurs fois qu’un jour, je pourrai venir. Il y avait là des amis de banlieue mais d’autres personnes aux profils très différents. Ce mélange me rendait dingue. J’avais très envie de venir. Le Chanteur ne m’en reparlait plus. Deux ans plus tard, j’ai obtenu d’un de ses meilleurs copains qui est aussi un de mes amis, qu’il était sérieusement acoquiné avec les services secrets français. Ce monde-là le fascinait…

Le Joueur, c’était le mythe footballistique incarné et une forme de beauté rare : la virilité alliée à la douceur. Je ne pouvais imaginer être son ballon. Cet homme-là appartenait au paradis, demi-dieu qui vaccinait en un éclair tout un peuple contre ses tentations xénophobes, ses peurs imbéciles, les colères qui se trompent d’ennemis, les replis sur soi, le manque de curiosité, l’aigreur, le désespoir, le découragement, formidable rénovateur du chaudron républicain dans lequel la bourgeoise et l’adolescent des cités pouvaient joyeusement s’embrasser devant un ancien qui n’avait jamais vu une telle liesse populaire et une telle force symbolique de la victoire et de la fraternité depuis la Libération, un soir de finale en 1998. C’était l’homme du football français héroïque, celui qui se dématérialisait pour devenir dans nos cœurs le secours, la beauté, la bonté, la timidité, le rire : le soleil.

Le Chanteur avait la fulgurance du lézard, le Joueur, celle du plus grands des félins.
Dans ma chanson, donc, j’écris difficilement de nouvelles expressions d’amour pour le Chanteur. J’en avais tellement marre de le persuader de m’aimer, que je lui écris : attention, si ça continue, je pourrais tomber amoureux du Joueur.

Au fur et à mesure que mon désir pour le Joueur s’épanouissait, je trouvais de l’inspiration pour le mettre en rivalité avec le Chanteur. Entre nous, je savais qu’une idylle avec le Joueur était totalement inconcevable tant il aimait répéter son amour pour sa femme et ses enfants et qu’il vivait dans la sphère des personnes dorées par leur destin et leur talent et qu’elles étaient de fait intouchables.

Aussitôt la chanson écrite et téléphonée sur le répondeur du Chanteur, celui-ci me rappela immédiatement et me répéta :

- Tu es son ballon. Avoue que c’est drôle comme situation !

Il avait l’habitude de parler comme un sphynx, énigmatique et laconique et faisait lourdement comprendre que lorsqu’il avait décidé de ne pas répondre à une question, il ne fallait pas insister. Je n’avais pas d’autres explications. Je restais amoureux de lui mais troublé par mon désir pour le Joueur et cette histoire de ballon.

lundi 21 décembre 2009

La révolte et j'étais une bille au football...

J’en avais marre du quotidien, des petites journées, des nuits à tourner dans des cages, de Paris sans surprises, sans rencontres, sans la magie du hasard, sans regards, ni paroles d’inconnus. Si : les regards existaient encore un peu. Ils devenaient de plus en plus muets, impuissants, cadenassés dans la prison que chacun parvenait à se constituer, incapables de façonner une ville vibrionnante : le bourdonnement n’avait même pas le coffre d’un vol de moustique.
Les années 90 découvraient ce que cachait la fête des années 80 : une sérieuse remise au pas par le pouvoir de l’argent. Les années 2000 vivent la petite musique des « ménages » comme disent nos grands-mères, les petits couples tout heureux d’avoir acheté des meubles ethniques et celles des nouvelles contestations qui auraient sérieusement besoin de passerelles pour mettre en réel danger un ordre effrayant par sa capacité de récupération, de mutation, de corruption et d’arrogance.
Et moi dans tout ça, j’étais une bille en football. Ca remonte à loin. La télé était en noir et blanc, les matches étaient regardés en famille. Mon père trépignait sur son fauteuil. Il gueulait d’un « Allez les gars ! » violent, réprobateur et tripal, qui me dégoûtait franchement car il sentait la complicité ou l’amitié virile où il se permettait de gueuler avec hargne sur les joueurs. C’était un univers qui excluait. Soit t’étais dans son monde, soit tu étais une merde. Au final, c’est moi qui le considérais comme une merde, et les joueurs, les commentateurs, les amateurs allaient injustement avec. Seule ma mère se raccrochait au match en commentant abondamment le physique des arbitres. Et j’étais le ballon !
J’allais au stade Marcel Saupin au bord de la Loire à Nantes. Nous respirions le brouillard et aspirions des lumières que je n’avais jamais vues aussi puissantes. J’admirais le physique des joueurs et pestais contre la logique du jeu. Basketteur, j’aimais qu’on mette des paniers tout le temps. Là avec le foot, c’était un, deux, voire trois buts en une heure et demi : c’était chiant. Le jeu était sans cesse entrecoupé. Soit ils faisaient des fautes, de mauvaises passes ou ils étaient hors jeu. Quand ils marquaient un but, ça allait tellement vite _ ça pouvait arriver à un moment où on était plus ou moins assoupi_ qu’on l’avait loupé. Bref, ça faisait beaucoup de frustrations, sans compter celles qu’inspirait la beauté des joueurs, intouchable. Moi, je crois que je me forçais à y aller pour faire plus garçon car côté genre, je me suis toujours senti indéterminé, ou plutôt portant en moi les deux sexes. C’était quasi quotidien qu’on me prenne pour une fille dans les magasins, dans la rue, au collège…

samedi 19 décembre 2009

mon message de test est mon premier épidode de ma saga

attention, il ne faut pas louper mon message de test : il est indispensable pour la compréhension du blog.

vendredi 18 décembre 2009

La surprise de la gare des Invalides

La première fois c'était en 1991 à la fin de la guerre d'Irak, un matin gare des Invalides. Il était haut-gradé américain, appartenant disait-il au premier cercle de Bush, supervisant la CIA et autres agences de renseignement en tant que membre de cabinet.
Il voulait que je travaille pour lui ! Il voulait que je dise oui d'abord et il m'aurait précisé ma mission.
J'ai dit non.
Il m'a dit : c'est dommage, vous auriez pu voyager, être dans les deuxièmes ou troisièmes lignes de combat en toute sécurité, découvrir plein de choses, vivre une aventure extraordinaire avec la Maison blanche.
La totale.
Moi je me voyais déjà en cour d'assises pour haute trahison de l'Etat. Et puis j'étais résolument opposé à cette guerre.
Il était flegmatique, portait un imper mastic, parlait un français très distingué avec un joli accent outre-atlantique.
Il pouvait aller se faire foutre. Mais il m'avait filé une sacrée trouille. Car il m'a menacé. Puisque je m'entêtais à lui répondre non, j'allais avoir de très gros ennuis si je dévoilais le contenu de cette conversation.
Il a voulu ajouter de la confusion dans mon esprit en affirmant qu'il avait fait cette proposition à une deuxième personne appartenant à mon entreprise, qu'il attendait sa réponse et que je ne devais en aucun cas lui en parler.
Le fouteur de merde !
Il n'avait pas l'air de mentir sur l'importance de sa fonction. Il m'avait donné assez de détails accréditant la vraisemblance du quotidien de sa vie, des stratégies de la Maison blanche, de la manière de travailler des services.
Il avait l'air pro et pas du tout mytho.
Croyez-moi, j'ai roulé ma bosse dans les milieux les plus élevés et interlopes de l'appareil d'Etat, disons les "officieux", ceux qui comptent, font et défont.
Rassurez-vous, j'y ai mis seulement mon petit nez et je l'ai vite retiré car cela ne me correspond pas.
Cela me dégoûte, fatigue, révolte et c'est au final assez fastidieux d'y trouver de l'intérêt si l'on ne veut pas comme moi leur ressembler et intégrer leurs logiciels qui empêche toute forme de vie que, moi, je voulais chercher ailleurs.
Et cette forme de vie, c'était la poésie, la recherche d'un supplément d'âme et le magnétisme éternel de l'amour qui a l'avantage et le mystère de goûter à l'éternité et d'être toujours autant bluffé par une dimension : l'infini.

mardi 15 décembre 2009

Mon message de test

Bonjour, je suis le ballon du Mondial. Du Mondial et de tous les terrains de football de cette planète.
A partir du moment où l'objet est rond et circule de pied en pied, voire de la tête ou de la main de Thierry Henry c'est moi, l'empêcheur de tourner en rond. Le plus fort c'est que je suis à la fois ce ballon et un être vivant, moitié homme, moitié femme, vivant normalement à Paris, ayant une activité professionnelle tout à fait estimable, actuellement en arrêt maladie pour cause de migraines telles que je ne puis marcher.
Par contre, je roule, je vole, je vrille, je fais tourner la tête et je déchire le coeur à pas mal de monde chaque week-end, ne parlons pas de la semaine quand il s'agit de la champion's league.
Soyons clairs : je suis l'incarnation du ballon ou celui-ci est une réduction matérielle de ma personne. J'ai une double existence sur cette planète : celui d'un objet ayant une âme (et des particularités physiques qui en désarçonnent plus d'un) et d'un être humain qui s'est toujours révolté contre la réification même s'il a su en jouer.
Au ballon correspond ma personne, un citoyen du monde. De cette personne, le ballon est l'expression matérielle et métaphorique de sa personnalité, de sa sensibilité, de ses révoltes et voltes-faces qui se tendent comme un arc pour aspirer à ne produire qu'une seule chose : de la beauté, de l'harmonie, des surprises, du suspense, des figures, des styles, des rapports au hasard et à la vélocité, des coups, des embrassades pour raconter que rien n'est gagné à l'avance, que tout peut s'inverser, que l'injustice est provisoire : regardez les incroyables exploits stylistiques de Gourcuff après son pénalty raté contre Montpellier.
Mais mes compétences footballistiques sont bien limitées car le plus fort dans cette histoire, c'est que j'ai découvert que j'étais le ballon il y a seulement quatre ans et que jusqu'à cette date, je n'en avais rien à cirer du foot, voire même je le dégueulais tout commer l'argent des joueurs et des clubs, le fascisme ou la beaufitude de certains supporters, le chauvinisme, le machisme et le mauvais goût induits, son fort magnétisme dans la tête des gens, bref tout son monde !
C'est un chanteur de rap très connu qui m'a affirmé que j'étais le ballon avec une autorité désarçonnante. Il passe ses nuits au Baron, une boîte de nuit du VIIIe arrondissement de Paris et croise de nombreux agents des services secrets qu'il affectionne particulièrement. Et moi les services secrets, je les ai eus sur le dos. Franchement, s'il y a bien une catégorie de l'humanité que l'on aimerait ne jamais rencontrer, c'est bien eux.