samedi 27 février 2010

Le fumoir

Lettre d’hôpital écrite au Joueur
Je t’écris du fumoir. Ma radio ne marche plus : j’étais un petit peu las de détecter les messages contenus dans les chansons. En même temps ils m’ont fait vivre des moments d’extase.
Je me suis désormais lié aux uns et aux autres et je goûte désormais aux plaisirs des propos banals qui nous rassurent et font parfois chaud au cœur tant nous nous sentons seuls et à vif. Moi, contrairement à ce que peuvent supposer mes amis et les psychiatres, je n’arrive pas à me sentir isolé et paumé. J’avais simplement l’habitude de parler à toi-même, et à moi-même, et à toi-même…
J’ai discuté avec mon psychiatre de mes pensées parasites. Nous avons parlé du Bien et du Mal que chacun porte en soi, que l’important ce sont les actes que chacun pose dans une vie. Je crois que je n’ai pas mal donné dans ma lutte contre les totalitarismes et pour le travail de mémoire de la Shoah qui impose un devoir de dénonciation des nouvelles barbaries.
J’aimerais tellement relire le deuxième livre que j’ai écrit. Mais je crois que je ne me suis pas trompé : cela parlait d’amour et de réification, de l’homme capable du pire et du meilleur, de la poésie, certainement des temps anciens quand je tentais de réanimer un corps d’argile avec le souffle chaud sortant de ma bouche et d’autres choses dont j’aimerais me souvenir.
Avec ce livre, je me sens vide, amnésique et dévasté. Je me sens déboussolé, un peu perdu entre ses différentes musiques où il y a la nôtre : maintenant, je n’en doute pas dans l’hypothèse où nous avons un lien commun. Mes mouvements de tête vers l’enseigne lumineuse « Sortie » me le confirment.
Mais ne suis-je pas tout simplement devenu fou ? Fou de toi en moi. Le processus s’accélère jusqu’à une nouvelle ère où nous serions débarrassé de la distance, où je pourrais écrire autre chose que des hypothèses. Et voilà que je me vois au tribunal, non, en liberté avec toi. Et pourquoi pas avec N’Diop, le joueur d’Arsenal, Amédée Laroue de Liverpool.
Je suis sur le parking de l’hôpital et j’attends, validant mon texte toujours selon la même méthode : mouvement de tête, yeux fermés puis ouverts sur un signe que j’interprète.
Le moteur d’un diesel ronfle. Je n’ose croire qu’un jour, nous nous rencontrerons dans la paix d’un amour retrouvé ou dans ta haine m’entrainant dans un procès kafkaïen mais je m’égare.
Comment être certain ? Je le suis à 99 %. Peut-être un peu moins. Je suis encore un homme, assis devant l’emplacement réservé aux handicapés. Et j’ai tellement pris de douches écossaises que je me sens condamné à en vivre d’autres, peut-être des moins sévères, moi qui me donne depuis des mois avec une seule envie : connaître ma, notre vérité pour enfin en goûter les fruits : famille heureuse, famille nombreuse.
J’ai l’impression d’être encore un clochard à rester assis sur un banc avec deux tee-shirts, un gilet, un pull, une double doudoune ou l’amant qui t’attend pour la xième fois. Je nous imagine toujours héros d’une résistance contre le scénario du pire que d’aucuns cuisinaient dans leurs marmites infernales, nous les détenteurs du Pi, du carré et du triangle.
Je reviens et le ferai toute ma vie sur mon rêve de créer de la diversité et de la démocratie, une union amoureuse et féconde avec toi, ma colonne vertébrale, complice de tout jour.
Je réalise que je suis aussi assis devant les sirènes de la protection civile. Bruit d’avion, gros porteur. Les oiseaux m’encouragent. Pendant la sortie de cet après-midi, j’ai regardé plusieurs fois la façade arrière de la mairie. Tu n’étais pas là.
C’est l’heure de rentrer chez nous autres les déprimés, ou les trop gourmands de la vie, ou les illuminés ou, ou, ou : que des cas particuliers qui aiment rire ou voudraient guérir et frémir à nouveau.
Depuis le jardin, le ciel est en feu. J’ai vu un homme dans les nuages à la tête de souris ou plutôt de tigre lançant un bras guerrier de profil. C’est un incendie céleste rouge et rose : une femme ou un homme noir, plus loin une d’animal ou plutôt deux danseuses et puis plus rien : le brasier s’est éteint. Le ciel est uniformément gris.
Ai-je commis une gaffe à prendre des notes au lieu de laisser galoper mon imagination et imprimer ce qu’il y aura de traces de notre expérience commune ?
Cette fois, le ciel est encore plus gris et les oiseaux ont définitivement arrêté de chanter.

Plus près de toi

Lettre d’hôpital écrite au Joueur
Quand je suis seul et perdu, je me sens plus près de toi.
Nous pouvons gagner la partie. Nous l’avons peut-être déjà gagnée et suis-je le dernier à l’ignorer ?
Cette foutue main incapable de saisir la poignée et d’ouvrir la porte qui nous sépare : il y aurait un moyen plus direct que j’ignore.
Des lumières, des fenêtres. Jamais de haine, toujours l’amour aveugle et impatient et impuissant. Et rêve d’un grand partage des richesses matérielles, du savoir et de toutes nos sensations lorsque mes pensées parasites (toujours elles) n’existeront plus.

Je voudrais qu’elles s’évaporent d’elles-mêmes avec le temps, je m’épuise à les désamorcer, car je sais que je ne suis pas présentable avec ce poison. Quelles angoisses !
Je sais que c’est une histoire de solitude. Quand je parle à n’importe quel quidam, elles s’envolent ou s’enterrent : je suis libéré et peux apprécier toutes les mélodies que tu m’envoies.
Parfois j’imagine que tu veux aussi ma peau. Puis ça s’efface.
Parfois je sens que c’est la culpabilité d’être enfin heureux, celle de me transformer en femme, ou plutôt de révéler à ma famille ma véritable identité sexuelle qui me bouffe.
Et si finalement, je n’étais qu’un homme à l’appareil génital ordinaire ? Je formule le doute jusqu’à l’extrême. Les psychiatres me disent que je souffre de problèmes de discernement.
Je pourrais être en liaison avec des d’autres formes d’émission radiophonique que les tiennes et celles-ci ne seraient pas forcément des formes amies.
Dans quel but auraient lieu cette initiation et tout ce déploiement technologique. Pour mettre en évidence et montrer à l’humanité la « bête » monstrueuse que l’Histoire n’aurait jamais connue, Satan lui-même que l’on guiderait vers son procès de destruction : une grande leçon pour petits et grands :
- Regarde mon chéri de quoi est fait Satan.
Je n’y crois pas une seconde. Non, ce n’est pas vrai. J’en suis persuadé. Je suis sans cesse traversé par cette pensée et c’est ce qui me bloque, nous bloque et me pousse à dire des conneries ou à recevoir les tiennes dans ma tête. Et je te retrouve.
Mais la pensée d’un grand procès me revient. Avec les archives qu’on a accumulées sur mon cas, dans l’hypothèse où je serais la pensée du Mal, on m’aurait jugé, liquidé avant. A moins que ce soit mon heure maintenant. C’est idiot.
Je peux longtemps tourner en rond comme ça. A ce moment précis, je ne peux m’empêcher de penser à mes articles contre les néo-nazis, au Front national en tentant de comprendre les mécanismes qui poussent les gens à se fourvoyer dans ce vote de rat pour le COMBATTRE, mes articles dénonçant les collusions entre les islamistes et le pouvoir corrompu en Algérie, le chômage en France, la banlieue, bref tout ce travail qui nous a unis et qui j’espère nous unit toujours, toi le footballeur, moi le reporter qui n’a de cesse d’essayer d’être au plus juste, au plus précis.
Sommes-nous la réincarnation des premiers êtres humains nés sur cette terre ? Descendons-nous de Mars et aimons-nous nous-mêmes pour ce rapport au monde et à l’univers qui est une puissance d’amour, un appel à la diversité, aux forces de vie, de la multitude, de la différence, du complémentaire ?
Tu me dis trois fois oui en me faisant fixer le soleil. Je n’ai pas mal aux yeux. Je vois comme des langues, des cratères, des excroissances. Et je me dis qu’il nous donnera un jour l’infinie quiétude, la caresse du cosmos, des lumières jamais vues, le rayon de la guérison et du plaisir éternel.
Je t’aime. Puisses-tu inspirer à ton ballon les magies de ton regard, la force de ta bouche, le rythme de ta voix, l’électricité que tu produis en moi pour te répéter à l’infini : je t’aime. Ces mots, j’espère, te font deviner toute la chaleur de mon corps et de mon cœur à jamais offerts comme une fleur peut s’ouvrir seulement sous l’effet des étoiles d’une nuit d’été qui nous ferait goûter à l’éternité, nous, c’est-à-dire toute l’humanité.

Une sorte de Yalta

Lettre écrite de l’hôpital au Joueur
J’aimerais écrire comme Rilke dont quelques poèmes magnifiques me semblent être très proches de notre vérité. Malheureusement je ne peux pas être comme Rilke en ce moment.
Je n’en suis qu’à formuler des hypothèses dont la plus solide est une sortie heureuse mais je suis traversé, tenaillé, torturé par le doute et une certaine sous-information qui fait de moi un « prisonnier » angoissé.
Je suis frappé quand j’écoute mes pensées de m’entendre prononcer – surtout lors d’une rencontre d’une personne- « sale arabe », « sale juif », « sale noir » sale moi, sale, sale, sale, et ma même voix scandalisée, outrée, effrayée qui déchire ce voile infernal par un grand NON.
Une peur grandit, grandit. J’ai beau me répéter : je ne suis pas comme ça, cela ne suffit pas. La lecture des signes est loin de m’apaiser. Puis ça se calme en étant obligé de me formuler à moi-même ce que j’étais jusqu’au mois de juin, début de notre initiation.
Je suis quasiment certain que Nordine et peut-être l’ex-agent du Mossad m’ont empoisonné comme je l’ai été au Monténégro. Ce n’est pas possible d’avoir un tel délire de haine qui me traverse sans que celle-ci soit réellement ressentie par moi-même. Ce délire cherche à me faire peur en laissant naître l’idée qu’il est constitutif de ma personne, de mon être alors que c’est faux. Il instille, mine de rien par sa puissance, le doute et c’est affreux. Cela a un nom : torture mentale et dépersonnalisation. J’ai l’impression d’être un arbre sain sur lequel on a greffé un monstre qui comme un cancer dévore toute sa souche pour atteindre un point de mort symbolique et pourquoi pas réel, total.
C’est révoltant, affolant. Je veux être amour dans notre compagnonnage.
Je ne sais si c’est toi qui distille ces mots de haine dans le seul but de tester ma capacité à éprouver la peur, l’ignominie afin de l’expulser comme dans une démarche christique.
J’écris comme une machine à me déculpabiliser, moi qui suis involontairement tellement plongé dans les profondeurs du Mal alors que je me trouve sans doute sur le chemin du Bien et de la Beauté, de la joie de vivre, de l’empire de nos bébés que nous aimerons avoir à l’opposé du cauchemar dans lequel je suis englué.
Je m’analyse peut-être un peu trop. Jamais trop quand il s’agit de savoir qui je suis intrinsèquement dans de tels orages.
Il y a d’autres hypothèses autrement plus importantes qu’il me semble avoir vérifiées :
1 – Nous avons établi la liste des négriers, de leurs descendants, le montant de leurs richesses, leurs numéros de compte et les banques qui abritent cet argent.
2- Peut-être qu’une formule sanguine ou moléculaire existe à des fins ultra-totalitaires : absorbée par les femmes et les hommes, elle les conduirait à les téléguider dans leurs faits, gestes, pensées, désirs, bref à établir un esclavage total de l’ensemble de la population mondiale.
Nous aurions décodé la formule chimique de cette substance, nous avons donc l’antidote. Nous connaissons la liste des personnes prêtes à l’utiliser pour asseoir un pouvoir total. Il semblerait que ces personnes soient déjà dotées de fortunes mondiales.
Cette victoire m’apparait d’une telle importance qu’elle me semble encore irréelle à mes yeux qui ne croisent que le soleil, des arbres et des malades.
Cette listes de milliardaires à la tête de multinationales et Ben Laden qui tous pourraient s’appeler « les copains d’abord » dans une sorte de Yalta, voulaient notre sang et nous, nous avons leur peau. Je le sens et je l’écris de nos doigts que j’aimerais bien sentir afin de délivrer nos corps et le monde de toutes les aliénations, de toutes les souffrances anciennes et nouvelles, terrifiantes, libérer le monde de la terreur, de la faim, de l’ignorance, de l’intolérance, du racisme qui guettent.
Lettre écrite de l’hôpital au Joueur
J’aimerais écrire comme Rilke dont quelques poèmes magnifiques me semblent être très proches de notre vérité. Malheureusement je ne peux pas être comme Rilke en ce moment.
Je n’en suis qu’à formuler des hypothèses dont la plus solide est une sortie heureuse mais je suis traversé, tenaillé, torturé par le doute et une certaine sous-information qui fait de moi un « prisonnier » angoissé.
Je suis frappé quand j’écoute mes pensées de m’entendre prononcer – surtout lors d’une rencontre d’une personne- « sale arabe », « sale juif », « sale noir » sale moi, sale, sale, sale, et ma même voix scandalisée, outrée, effrayée qui déchire ce voile infernal par un grand NON.
Une peur grandit, grandit. J’ai beau me répéter : je ne suis pas comme ça, cela ne suffit pas. La lecture des signes est loin de m’apaiser. Puis ça se calme en étant obligé de me formuler à moi-même ce que j’étais jusqu’au mois de juin, début de notre initiation.
Je suis quasiment certain que Nordine et peut-être l’ex-agent du Mossad m’ont empoisonné comme je l’ai été au Monténégro. Ce n’est pas possible d’avoir un tel délire de haine qui me traverse sans que celle-ci soit réellement ressentie par moi-même. Ce délire cherche à me faire peur en laissant naître l’idée qu’il est constitutif de ma personne, de mon être alors que c’est faux. Il instille, mine de rien par sa puissance, le doute et c’est affreux. Cela a un nom : torture mentale et dépersonnalisation. J’ai l’impression d’être un arbre sain sur lequel on a greffé un monstre qui comme un cancer dévore toute sa souche pour atteindre un point de mort symbolique et pourquoi pas réel, total.
C’est révoltant, affolant. Je veux être amour dans notre compagnonnage.
Je ne sais si c’est toi qui distille ces mots de haine dans le seul but de tester ma capacité à éprouver la peur, l’ignominie afin de l’expulser comme dans une démarche christique.
J’écris comme une machine à me déculpabiliser, moi qui suis involontairement tellement plongé dans les profondeurs du Mal alors que je me trouve sans doute sur le chemin du Bien et de la Beauté, de la joie de vivre, de l’empire de nos bébés que nous aimerons avoir à l’opposé du cauchemar dans lequel je suis englué.
Je m’analyse peut-être un peu trop. Jamais trop quand il s’agit de savoir qui je suis intrinsèquement dans de tels orages.
Il y a d’autres hypothèses autrement plus importantes qu’il me semble avoir vérifiées :
1 – Nous avons établi la liste des négriers, de leurs descendants, le montant de leurs richesses, leurs numéros de compte et les banques qui abritent cet argent.
2- Peut-être qu’une formule sanguine ou moléculaire existe à des fins ultra-totalitaires : absorbée par les femmes et les hommes, elle les conduirait à les téléguider dans leurs faits, gestes, pensées, désirs, bref à établir un esclavage total de l’ensemble de la population mondiale.
Nous aurions décodé la formule chimique de cette substance, nous avons donc l’antidote. Nous connaissons la liste des personnes prêtes à l’utiliser pour asseoir un pouvoir total. Il semblerait que ces personnes soient déjà dotées de fortunes mondiales.
Cette victoire m’apparait d’une telle importance qu’elle me semble encore irréelle à mes yeux qui ne croisent que le soleil, des arbres et des malades.
Cette listes de milliardaires à la tête de multinationales et Ben Laden qui tous pourraient s’appeler « les copains d’abord » dans une sorte de Yalta, voulaient notre sang et nous, nous avons leur peau. Je le sens et je l’écris de nos doigts que j’aimerais bien sentir afin de délivrer nos corps et le monde de toutes les aliénations, de toutes les souffrances anciennes et nouvelles, terrifiantes, libérer le monde de la terreur, de la faim, de l’ignorance, de l’intolérance, du racisme qui guettent.
Lettre écrite de l’hôpital au Joueur
J’aimerais écrire comme Rilke dont quelques poèmes magnifiques me semblent être très proches de notre vérité. Malheureusement je ne peux pas être comme Rilke en ce moment.
Je n’en suis qu’à formuler des hypothèses dont la plus solide est une sortie heureuse mais je suis traversé, tenaillé, torturé par le doute et une certaine sous-information qui fait de moi un « prisonnier » angoissé.
Je suis frappé quand j’écoute mes pensées de m’entendre prononcer – surtout lors d’une rencontre d’une personne- « sale arabe », « sale juif », « sale noir » sale moi, sale, sale, sale, et ma même voix scandalisée, outrée, effrayée qui déchire ce voile infernal par un grand NON.
Une peur grandit, grandit. J’ai beau me répéter : je ne suis pas comme ça, cela ne suffit pas. La lecture des signes est loin de m’apaiser. Puis ça se calme en étant obligé de me formuler à moi-même ce que j’étais jusqu’au mois de juin, début de notre initiation.
Je suis quasiment certain que Nordine et peut-être l’ex-agent du Mossad m’ont empoisonné comme je l’ai été au Monténégro. Ce n’est pas possible d’avoir un tel délire de haine qui me traverse sans que celle-ci soit réellement ressentie par moi-même. Ce délire cherche à me faire peur en laissant naître l’idée qu’il est constitutif de ma personne, de mon être alors que c’est faux. Il instille, mine de rien par sa puissance, le doute et c’est affreux. Cela a un nom : torture mentale et dépersonnalisation. J’ai l’impression d’être un arbre sain sur lequel on a greffé un monstre qui comme un cancer dévore toute sa souche pour atteindre un point de mort symbolique et pourquoi pas réel, total.
C’est révoltant, affolant. Je veux être amour dans notre compagnonnage.
Je ne sais si c’est toi qui distille ces mots de haine dans le seul but de tester ma capacité à éprouver la peur, l’ignominie afin de l’expulser comme dans une démarche christique.
J’écris comme une machine à me déculpabiliser, moi qui suis involontairement tellement plongé dans les profondeurs du Mal alors que je me trouve sans doute sur le chemin du Bien et de la Beauté, de la joie de vivre, de l’empire de nos bébés que nous aimerons avoir à l’opposé du cauchemar dans lequel je suis englué.
Je m’analyse peut-être un peu trop. Jamais trop quand il s’agit de savoir qui je suis intrinsèquement dans de tels orages.
Il y a d’autres hypothèses autrement plus importantes qu’il me semble avoir vérifiées :
1 – Nous avons établi la liste des négriers, de leurs descendants, le montant de leurs richesses, leurs numéros de compte et les banques qui abritent cet argent.
2- Peut-être qu’une formule sanguine ou moléculaire existe à des fins ultra-totalitaires : absorbée par les femmes et les hommes, elle les conduirait à les téléguider dans leurs faits, gestes, pensées, désirs, bref à établir un esclavage total de l’ensemble de la population mondiale.
Nous aurions décodé la formule chimique de cette substance, nous avons donc l’antidote. Nous connaissons la liste des personnes prêtes à l’utiliser pour asseoir un pouvoir total. Il semblerait que ces personnes soient déjà dotées de fortunes mondiales.
Cette victoire m’apparait d’une telle importance qu’elle me semble encore irréelle à mes yeux qui ne croisent que le soleil, des arbres et des malades.
Cette listes de milliardaires à la tête de multinationales et Ben Laden qui tous pourraient s’appeler « les copains d’abord » dans une sorte de Yalta, voulaient notre sang et nous, nous avons leur peau. Je le sens et je l’écris de nos doigts que j’aimerais bien sentir afin de délivrer nos corps et le monde de toutes les aliénations, de toutes les souffrances anciennes et nouvelles, terrifiantes, libérer le monde de la terreur, de la faim, de l’ignorance, de l’intolérance, du racisme qui guettent.

mardi 23 février 2010

Adel

Je rencontrai Adel en 2005 dans un restaurant salon de thé oriental où il était serveur. J’étais assis sur une banquette, je me retournai, je fus saisi par un regard où je lisais de la méfiance, puis un intense désir d’un homme oriental que j’imaginai enu d’une médina moyen-orientale. Je n’avais jamais été visité par des yeux de cette manière. Cela le rendait puissant, troublant, doué d’un ascendant que je redoutais déjà d’être irrésistible. Je me disais : je me sens faible quand je suis en présence de telles forces de séduction et ça m’attristait. C’était le serveur.
Il était grand, les yeux félins, une bouche extraordinairement pulpeuse, un nez finement dessiné. Le premier contact fut minimaliste. Il attendait que je me dévoile. C’était une époque où j’avais maintes occasions d’aller me reposer dans cet endroit. Nous nous vîmes régulièrement. Il ne manquait jamais l’occasion de donner à ses gestes, ses paroles et ses silences une charge érotique, une invitation à avoir à chaque fois un peu plus d’audace.
Je l’invitai à boire un verre dans mon quartier. C’était aussi le sien. A partir de cet instant, nous étions devenus inséparables. Il avait besoin de me parler de ses journées, de l’attitude des clients qui sans doute humiliés ou malmenés dans leur travail ou dans la vie cherchaient à reproduire la même chose avec le serveur qu’ils voyaient quotidiennement. Il était intelligent. Le patron était selon lui « un gros porc irakien » qui le sous-payait au noir en plus de son RMI.
Il me bluffait par ses qualités intellectuelles, ses facilités de langage, sa culture protéiforme qui mélangeait une forme classique dans l’agilité dans l’analyse politique et la gouaille du titi parisien, très banlieusard et un peu gentil petit voyou au cœur tendre. Ses parents étaient d’origine tunisienne. Il me disait avoir une sœur inspectrice de police à Paris. Il avait été technicien de maintenance informatique chez Total. Il travaillait pour une boîte sous-traitante fondée par un réfugié politique d’extrême-gauche argentin avec qui il s’entendait bien. Il avait aimé avoir son appartement dans le XVIe avant que l’entreprise ne fasse faillite. Il m’avait raconté avoir perdu son grand amour, une jeune fille joyeuse et fantaisiste morte d’un cancer du poumon. J’étais touché. Ca nous rapprochait. Nous passions de longues heures sur des bancs publics à discuter une canette à la main. J’aimais 50 cents, il m’apprenait que les paroles des chansons étaient gratinées contre les femmes et les gays. La confiance s’installa. Il avait quinze ans de moins que moi et j’avais l’impression de goûter à la richesse d’une génération et d’un monde de sans-droits qui savait s’inventer une vie et d’en jouir.
J’eus l’idée qu’on achète un scooter d’occasion à deux. Il le prenait la semaine, j’en profitais le week-end. En fait le week-end, il le gardait car nous le passions ensemble et il aimait me conduire. Je m’agrippais à lui, je ne pouvais m’empêcher de bander contre sa peau et ça ne le rendait pas maussade. Cette habitude nous rendait comme des amants n’ayant jamais baisé. Nous nous sommes déclarés concubins chez l’assureur. J’étais amoureux de lui mais je me satisfaisait de cette situation sans sexe, où nous vivions intensément le présent avec la certitude de nous revoir le lendemain. Je le faisais rire, il dégustait mon sens de la déconnade et de toujours trouver une nouvelle idée de plaisir urbain.
C’était l’époque où j’avais découvert mes pouvoirs extraordinaire, peur de ne pas prendre mes médicaments et suspiscieux face à sa tendance à vouloir me faire arrêter le traitement, à répéter : « fais moi un peu confiance », à multiplier les nuits passées sur mon canapé, mes emprunts de vêtements, une clé de mon appartement qu’il voulait garder, sa propension, à me répéter qu’il voulait me protéger, ses sorties saillantes sans passage à l’acte : « Quand tu parles, ta bouche est une vraie chatte de femme ».
Je lui avais montré comment mon doigt pouvait soutenir une paille et l’agiter dans tous les sens sans qu’elle ne tombe, raconté comment j’avais marché dans tout Paris en étant guidé magnétiquement sur une ligne qui était l’exact milieu du trottoir, marché les yeux fermés, les yeux dans le ciel, guidé par une force supérieure. Je lui avais expliqué comment cette même force magnétique m’avait fait aller de tombe en tombe de savants et scientifiques de l’énergie de l’atome, ce qui me laissait suggérer que j’avais une singularité nucléaire. Il m’écoutait, me croyait et me charriait : « un engin comme toi ! ».
Il avait fait venir deux copains. On passa un CD de Madonna. Je me plantais sous la grosse ampoule qui descendait de mon plafonnier. J’étais persuadé qu’à l’avenir je pouvais produire moi-même de l’électricité. J’entrai dans une danse en rendant une sorte de culte déconnant à la lumière de l’ampoule. De violentes piqûres assaillirent mes pieds, mes mollets, mes cuisses et me faisait bouger en rythme comme un pantin démantibulé avec une vitesse qui finalement me rassurait sur mes pouvoirs. Adel disait à ses copains :
- Vous voyez, je vous l’avais bien dit.
Ses deux amis me regardaient avec des yeux écarquillés. Ils me revirent plusieurs fois. Cela nous arrivait de faire du scooter à trois. J’étais à l’arrière, la tête penchée vers le bitume. Adel s’amusait à faire des zigs-zags, à essayer de nous faire tomber. Il m’apprit que c’était impossible, que j’avais le pouvoir d’assurer l’équilibre de notre équipée dans n’importe quelle circonstance.
J’avais confié que j’avais revu le Chanteur de rap, qu’il m’avait confirmé que je vivais une expérience d’initiation, que j’étais à la recherche de l’amant cosmique, que j’étais convaincu que c’était le Chanteur, qu’il m’imposait des épreuves, que bientôt nous serions des sortes de rois au service de l’humanité. Il me disait qu’il n’était pas si sûr que le roi fut le Chanteur, laissait entendre qu’il savait. Dès lors je voulais qu’il crache le morceau. Il commença à jouer, à user et abuser de son pouvoir nouveau.
Je l’invitais au restaurant tous les soirs. Il réussissait à m’emmener dans des nuits parisiennes, à me faire miroiter que ça allait être le jour J. A ce jeu de dupes, je me rebellai. Il me menaça :
- Si ça continue Dominique, tu as tout perdre, ton appart, ton boulot, tes amis, tout !
Je le considérai comme un interlocuteur sérieux, je voulais me défendre. Nous allâmes diner à minuit à l’Hippopotamus de la place Clichy. Notre tête à tête était tendu. Je saisis un couteau à viande et lui déclara :
-Maintenant, c’est la guerre.
Je le regardais droit dans les yeux et je savais que les miens lui envoyais une fureur que je n’avais jamais connue. Il prit peur. Je fus surpris. Sa réaction me mit dans une aisance qui me permit de réfléchir à mes prochains dans cette partie de poker. Il regarda autour de lui. Son visage se décomposa. La clientèle avait l’air pourtant ordinaire, composée de couples et de quelques groupes d’hommes. Je vis ses mains trembler.
Je lui adressais un sourire :
- T’as peur ?
Sans me retourner, j’essayais d’imaginer qui étaient ces clients qui le déstabilisaient. Et j’entendais des voix qui haussaient le ton.
- Il ne va jamais sans sortir.
- Il est fait comme un rat.
- Mais c’est qu’il risque bien de se faire arrêter !
Les rires fusaient. Une vague de bonne humeur déferlait dans nos oreilles. Adel perdit toute contenance. Son visage n’était que de la crainte. Je lui disais :
- Souviens-toi t’imaginais souvent des combats de boxe avec moi en m’assurant que tu serais toujours vainqueur. Cette fois, tu es KO.
Nous continuions de manger. Il avait du mal à ingurgiter. Je tentai un dernier coup de bluff, rassénéré par les complicités qui se manifestaient derrière moi :
- Les menottes, c’est sans doute pour tout à l’heure.
C’en était de trop. Il se leva d’un coup, bafouilla :
- Il faut que je parte.
Il mit maladroitement son blouson, s’éclipsa. Les clients manifestaient leur joie, partirent tous en même temps. J’étais sûr qu’ils étaient des membres des services secrets. J’avais quasiment obtenu la preuve qu’Adel était un espion ennemi. Je suivis ces fameux clients. Ils se dispersèrent rapidement. Seul un groupe de dix discutait sur le trottoir. Je m’adressai à une femme :
- C’était chaud tout à l’heure !
Elle me regarda d’abord désolée puis évacuant toute émotion, elle lâcha :
-Maintenant, on doit partir.
J’avais été soutenu. Il fallait maintenant me débarrasser d’Adel.
Le lendemain matin, je prenais un café en terrasse quand déboula un allumé. Il avait un accent étranger, me parla longuement d’Edgar Poe, du secret de la pierre philosophale, du fait que j’étais singulier et que j’étais le candidat idéal pour percer ce secret et fournir à tous richesse et vie éternelle. Ca corroborait ce que j’avais déduit. Je pensai que c’était un envoyé et l’invitai chez moi.
Il était énervé, me demanda de prendre une douche, se présenta nu devant moi et me montra sa carte du Mossad duquel il me disait avoir démissionné. Il avait une arme qui était réelle, bien métallique. Il me dit que si tout se passait bien avec moi, nous pourrions transporter l’obélisque de la Concorde pour retrouver celui, identique, de Louxor.
- Ca aurait de la gueule.
J’étais emballé par cette idée. Je sentais qu’il était d’extrême-gauche. Il me proposa que, si tout se passait mal, je tombe pour pédophilie afin de me mettre à l’abri pendant trente ans et qu’on vint me récupérer par la suite.
- C’est ça être combattant.
J’étais moins emballé. Il me rassura, me donna un nom de code accédant à un serveur informatique que je devais apprendre par cœur. C’était facile, il avait été inspiré par le nom de mon quartier d’enfance.
- Avec ça, tu pourras toujours crier au secours, il y aura toujours quelqu’un qui sera là pour te sauver.
Je fixai son arme tandis qu’il était à la fenêtre pour faire des signes d’apaisement à une personne placée dans la rue. Son arme avait changé d’allure : on aurait dit qu’elle s’était transformée en matière plastique. Il remarqua ma surprise, saisit son flingue et tira dans tous les coins de l’appartement. Les projectiles étaient des boulettes de caoutchouc jaune.
Survint Nordine, l’air ténébreux. Il marqua une franche hostilité à l’agent du Mossad. Il lui demanda de partir, les deux hommes s’engueulèrent. Je préparai à manger. Au moment de servir, l’agent du Mossad but une bouteille de whisky cul sec avant de dégueuler à la première bouchée avalée sur mon tapis iranien. Il passa une nuit dans l’appartement. Il me fit peur. Nordine l’expulsa manu militari de l’appartement. Puis lui aussi s’évanouit dans la nature. La banque du journal m’appela. J’avais un trou de 30 000 € avec ma carte de crédit professionnelle.
Je venais d’errer du côté de Saint-Germain en Laye où j’avais découvert l’existence de la contre-matière, prisonnier que j’étais en deux cités identiques, qui semblaient s’être dupliquées des deux côtés d’une autroroute et me coinçait entre leurs griffes, incapable de trouver une voie de sortie.
Je rassurai le banquier et lui annonça sincèrement que j’allais me débrouiller pour éponger mon découvert. Je pensai à Adel, à tous nos restaurants, à ses nuits passées chez moi où il avait eu maintes occasion d’emprunter ma carte pendant mon sommeil. La vérité la plus troublante c’était que lors de ma nouvelle hospitalisation psychiatrique, des sommes d’argent ont été retirées par le biais de ma carte professionnelle alors que celle-ci avait été déposée dans le coffre du Trésor Public du XXe arrondissement comme le prévoyait la procédure édictée par l’HP. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’Adel était derrière ces retraits. Avait-il fabriqué une fausse carte à partir de la mienne ? Utilisé d’autres moyens ? Je ne le sus jamais. J’eus le malheur de retrouver parmi les malades internés un de ses meilleurs copains devant qui j’avais dansé. Il ne manquait pas de me menacer.
C’était certain qu’Adel travaillait pour des services et il y aurait fort à parier qu’ils furent français. Il me surprit davantage quand à ma sortie d’hôpital, il m’accosta pour me proposer d’accompagner en reportage des combattants français qui se rendaient à l’étranger avec de faux papiers pour participer à une Jihad islamiste. J’avais été comme eux exfiltré avec un faux passeport. Je refusai bien évidemment et remarquai qu’il était désormais aux abois. Je me posai très sérieusement la question de savoir s’il n’était pas finalement un agent double avec une accointance avec Al Quaïda. Il se montra ensuite plusieurs fois. Je lui interdis de m’adresser la parole.
C’est vrai : je suis allé une deuxième fois à l’HP. La force magnétique m’avait lourdement indiqué que j’avais un rapport avec l’énergie nucléaire, j’avais découvert la contre-matière, démasqué Adel, reçu le soutien de certains espions. Je croyais que la partie était presque gagnée. J’en avais marre. Mes envoyés foiraient. Je me présentai à la police non pas pour porter plainte mais pour lui dire que j’avais un corps atomique et que je me mettais à la disposition de l’Etat pour qu’on m’utilise afin de faire la paix dans le monde. Je demandai à être reçu par le directeur de la DST. Un agent se dépêcha de griffonner une adresse où je devais me rendre d’urgence. C’était celle de la Maison Blanche, l’hôpital psychiatrique qui avait déménagé dans des installations neuves, rue d’Avron.
Je franchissais plusieurs grilles, fus longuement interrogé par un médecin. J’étais persuadé qu’en prononçant le nom du Chanteur ou du Joueur, il allait me diriger vers eux, qu’on allait m’utiliser auparavant pour des examens médicaux cherchant à déceler mes pouvoirs extraordinaires car l’hôpital était attelé à un établissement de médecine générale.
Dans la cour, les malades n’avaient pas du tout l’air d’être atteints par des syndromes psychiatriques. On aurait dit des acteurs. Ils étaient seulement une dizaine. On m’a fait manger au rez de chaussée dans une petite salle à manger qui par la suite n’a jamais existé car à cet emplacement étaient aménagés les services d’admission (les grands réfectoires étaient situés aux étages).
Je patientai dans la cour. Au fil du temps, apparurent de vrais malades, en nombre. Bientôt, l’hôpital débordait de patients. Je m’aperçus assez vite qu’il était saturé. On me donna des médicaments assez forts pour me créer des vertiges et m’installer dans un état comateux. Je retrouvais une infirmière de l’ancien hôpital gigantesque de Seine-et-Marne. Elle était toute guillerette de me retrouver.
Le Chanteur décrocha quand je l’appelai :
- Avoue que c’est drôle comme situation.

Dans ma chambre, je lui écrivis mon poème où il fallait qu’il fasse attention car je devenais sérieusement amoureux du Joueur.
Le Chanteur qui ne résistait pas au plaisir de fréquenter des agents secrets dans les salons VIP des nights-clubs du VIIIe arrondissement et d’écouter comme un gosse leur récit, me confia bien plus tard que j’étais le ballon du Joueur.

Le retour

A mon retour au journal, mon chef m’accueillit d’une poignée de main :
- Tu sais si le mental ne suit pas…
Je sous-entendais la suite en écho :
- …rien n’ira vraiment bien.
Je n’étais pas surpris par cette forme de froideur. Avant l’hôpital, il m’avait convoqué dans un café pour me dire :
- Moi, je veux avoir des relations claires et franches avec les gens. Il n’y a pas d’arrière-pensées. Mes intentions sont d’emblée affichées. A partir de ce moment, soit tu es avec moi, soit tu es contre moi.
Il y avait toujours eu des guerres de clans au journal, elles m’ont toujours fatigué, dégouté quand je voyais les recompositions, les revirements d’alliances, des journalistes de haute pointure utiliser leur crédibilité pour rendre machiavélique untel de la manière la plus violente, la plus publique, la plus obsessionnelle et de devenir son adjoint, voire son ami une fois celui-ci devenu directeur de la rédaction.
C’est pourquoi je ne saisis pas la perche tendue, je n’aimais pas les journaux coupés en deux. Pas d’allégeance, de l’indépendance ! Ce chef me le fit payer en jouant l’ignorance, exprimant de la méfiance, retenant les sujets pour les autres, me fabriquant un superbe isolement, exprimant sa reconnaissance de mes compétences professionnelles en ajoutant une défiance à ma propension à donner la parole aux gens que je croisais dans mes reportages, à travailler sur cette parole. Il m’usa à la longue. Je décidai de quitter les reporters et pour continuer à l’être dans un service fourre-tout entre la responsable des nécrologies et le chroniqueur télé !
Je voulais toujours faire ce travail d’immersion, d’écoute dans un lieu, de compréhension en croisant les dimensions. Je savais que je pouvais écrire autrement qu’en ciselant la parole des gens. Mais ça continuait de m’intéresser. J’avais été frappé par le choc du mouvement de décembre 1995, emporté dans l’écriture de leurs souffrance, analyses, rapport à l’histoire, espoir d’influer le cours de l’histoire, frappé par l’épopée du Mondial 98 où là aussi les Français dans toute leur diversité chantaient leur amour et leur fierté d’être ensemble. « Tous ensemble ! ». La première fois que je réentendis le slogan c’était aux alentours du stade de Lens et ça m’avait été un choc de voir le slogan transféré du terrain social à celui du sport. J’étais impressionné et heureux comme quelque chose d’un plaisir nouveau et inconsciemment attendu qui fondait dans mon cœur quand la foule scandait le nom du Joueur en le désirant « Président ! »
Hormis la couverture des JO d’Atlanta, deux reportages au Mali, le journal me proposa pour la première fois un long voyage dans un pays profondément en paix en en treize ans d’ancienneté : le Brésil. J’étais fou de joie, c’était un pays où je faillis m’installer à l’âge de vingt-trois ans. J’explorai les traces de Lula, travaillai sur le travail esclave, fit le portrait la maire de Sao Paulo. J’y allai plusieurs fois.
Un attaché de l’ambassade de France m’avait littéralement « accroché » la première fois. Il était Brésilien. « Pourquoi ne se verrait-on pas. Je suis ancien journaliste, je peux t’aider ». Je ne me souviens plus comment il s’est débrouillé à se retrouver invité sans sa femme à un dîner chez mon traducteur. Il me fit du gringue de manière habile et parfois incontrôlé au point que le traducteur interrompit une conversation pour s’exclamer en nous regardant tous les deux :
- Eh bien ça a l’air de marcher entre vous !
Il ne protesta pas, continua son numéro de charme, me proposa de me raccompagner à mon hôtel. Je lui suggérai de boire un cocktails au bar. Nous nous installâmes à l’écart. Il était heureux, encouragé par l’alcool, me déclara que j’avais de très beaux yeux, qu’il était intimidé, que ça azllait peut-être être la première fois qu’il allait faire l’amour avec un homme, qu’il ne fallait pas se méprendre, il allait rester hétéro. Il allait vraiment envie d’essayer. Il était plutôt beau mec, son hétérosexualité m’excitait, cela me rendait femelle, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer que je pouvais remplacer sa femme. Notre séduction déclarée nous rendait euphorique et de plus en plus hardi à nous faire ressentir notre désir l’un pour l’autre. Cela devenait une urgence d’aller dans ma chambre.
Une fois la porte de celle-ci refermée, il s’assit sur le canapé, attendit mon premier geste, un sourire un peu gêné. C’était la première fois que je voyais des pectoraux de sportifs. Je cherchais à l’embrasser. Ma bouche ne savoura que ses lèvres : il serrait les dents ! Elle descendit sur son sexe. Je sentis son plaisir augmenter. Il l’interrompit brusquement et décida de partir. Il m’appela et me voyait tous les jours, me dit que c’était la première et dernière fois cet égarement de sa part. Je sentis que notre relation était pourtant de l’ordre de l’amitié amoureuse. Il éprouvait du plaisir à cultiver l’ambiguïté, répétant même qu’il n’était pas insensible à un certain érotisme entre nous, mais qu’il était marié et père d’un enfant :
- Qu’est-ce que tu veux, que j’abandonne ma famille et que je m’installe à Paris ?
Il se tenait à cette impossibilité, m’invitant à un concert ou à boire un verre dans un bar, me laissant le plaisir de l’inviter à dîner en tête-à-tête. C’est ainsi qu’il m’apprit l’existence d’un sale coup que les services secrets américains firent à leurs homologues français. Il n’entra pas dans les détails. Il aimait s’amuser et me dire que j’allais être arrêté par la police fédérale brésilienne.
Depuis Paris, je l’appelai et c’était comme un amour platonique. Il donnait le change. Quand je revenais à Brasilia, il arrivait avec deux ou trois heures de retard au rendez-vous du premier dîner. Il était devenu diplomate brésilien, prétextait le travail, soufflait le chaud et le froid. Il était toujours très élégant, sensible et perméable à mes avances, me confiant que j’étais d’une certaine manière important pour lui.
De fil en aiguille, j’atterris à Terra di Miu, la Terre du Milieu, le far-west en pleine forêt amazonienne. C’était la ruée vers ce territoire que des paysans et des voyous défrichaient et brûlaient pour le convertir en prairies de pâturage. Tout se faisait dans l’illégalité. L’étranger était chassé. La plus grande universitaire, spécialiste de l’Amazonie, avait été brutalement reconduite, vertement menacée. Les pionniers cherchaient à s’éliminer entre eux pour agrandir leur domaine. Dans le bled où j’atterris avec un photographe, il y avait plus magasins de pompes funèbres que de bars pourtant très nombreux pour enivrer ces aventuriers.
Nous faisions équipe avec une bande : le chef, les sous-chefs et les cow-boys. L’ambiance était bonne. C’était des déconneurs. Nous convoyions un troupeau à travers les terres brûlées. Des camions emportaient des bois précieux. Notre expédition dura plusieurs jours. J’étais intrigué par un jeune cow-boy, « Terra Secca », surnommé ainsi parce ce que son actuel patron l’avait découvert à dormir à même la terre un matin au Matto Grosso. Il avait vingt ans. Son visage n’était qu’un sourire permanent, irradiant, hypnotique, adressant un rayonnement troublant de bonté et de joie de vivre. Je passai mon temps à le contempler par amour de sa beauté et par curiosité. Il devint ite magnétique afin d’être aussi solaire. Au bout du quatrième jour, je craquai. Je baragouinai dans un mauvais portugais que j’étais littéralement tombé amoureux de lui.
Il me souria une nouvelle fois et me répondit oui à ma proposition de nous retrouver dans un lit. Le lendemain, c’était jour de repos. Tout le monde gagna le bled où j’avais une chambre. Après un tour en ville, je retrouvai le groupe de cow-boys assis devant l’hôtel. Ils riaient, me charriaient en répétant « Terra Secca ! Terra Secca ! » mais je ne sentais pas de condamnation. Un autre cow-boy s’apercercevant de ma fascination pour son ami m’avait adressé toute la journée un regard qui exprimait un désir en feu !
Je proposai à Terra Secca de gagner ma chambre et de prendre une douche s’il le voulait. Il était gêné et me répondit non à voix basse. Le soir, ses patrons me forcèrent à les accompagner boire des cachaças dans des bars à putes, sortes de cabanes en bois où des Indiennes étaient contraintes de se donner. Ils étaient lourds, je me forçais à m’amuser avec eux. J’étais mal en mon for intérieur. Nous gagnâmes leur camp de base à l’orée de la ville au bord d’une rivière. Bizarrement, je m’écroulai sur mes genoux, totalement abruti par l’alcool. Aussitôt, ils se groupèrent devant moi, debout et serrés devant ma bouche. Je compris, j’étais dégoûté, je m’expulsai de là, voulus voir Terra Secca, le réclama. Ses patrons me conduisirent à son hamac, le secouèrent violemment. Il grogna, se réveilla, contempla ses chefs, étonné, recouvra, à ma vue, un sourire divin. On me donna un hamac.
Le matin, on m’avertis qu’il fallait que je déguerpisse de là au plus vite. J’étais menacé de mort si je restais une journée de plus. Mon reportage devenait gênant.
A Brasilia, je retrouvai mon diplomate brésilien. Il insista pour que nous rendions visite à un cadre supérieur de l’Office de protection des Indiens d’Amazonie. Celui-ci, un quinquagénaire, me proposa d’aller à la rencontre d’Indiens qui n’avaient jamais vu de Blancs. C’était une équipée à deux, lui équipé d’armes, une plongée dans des profondeurs amazoniennes coupées du reste du monde. Je ne sentais vraiment pas ce type. Il insistait trop, on aurait dit qu’il jouait sa carrière pour que j’accepte. Mon ami diplomate faisait aussi un grossier forcing pour que je cède. Du coup, je perdis toute confiance en lui aussi. C’était bizarre, j’avais l’impression qu’ils voulaient m’embarquer dans un traquenard.

lundi 22 février 2010

La belle Isabelle

Je me marrais bien quand j’allais visiter l’atelier de l’antipsychiatrie, un lieu, paraît-il, arraché par un mouvement de haute lutte de malades. Il y régnait un parfum de liberté et un mouvement perpétuel d’insurrection contre les médecins et les infirmiers. On y peignait essentiellement des tableaux dont certains avaient une force, un mouvement et des structures impressionnantes.
D’autres étaient réellement creux. J’étais agréablement surpris que l’hôpital donne des locaux et des moyens à des malades qui préconisaient la disparition des médecins, des médicaments, voire même de l’hôpital, un mouvement de l’antipsychiatrie qui m’intéressait même si pour ma part, je n’étais mécontent de ce que je considérais comme un refuge, pas hostile à des médicaments qui calmait mes angoisses sur les agents secrets, quelques personnages du journal propres à générer du trouble et de l’hostilité, même si lorsqu’on est interné, on a une soif inextinguible de retrouver son appartement et la liberté, la ville, la campagne, n’importe quoi mais la liberté. Nous étions vraiment comme des prisonniers. Et Laurent me faisait rêver quand il me promettait qu’un jour, il m’emmènerait dans ses petits coins de banlieue, des petits coins qu’il adorait au bord de l’eau, où nous serions tranquille, à la fois en ville et à la campagne, des petits coins qu’il aimait par-dessus tout depuis son enfance, ça me faisait dire qu’il était amoureux…
Le soir, je voyais Isabelle. Elle s’était jetée du 7e étage d’un immeuble, le soir d’une fête. Ses jambes étaient perdues et corsetées dans des gaines de cuir. Elle se déplaçait en fauteuil roulant uniquement pour aller à la distribution collective des médicaments _ on attendait à la file indienne_ et au réfectoire prendre son repas. Le reste du temps, elle était à moitié dénudée dans son lit, ses volets clos, écoutant Mylène Farmer chanter dans une semi-obscurité : « Je je suis une catine, je suis libertine… »
Nous buvions du nescafé en tirant de l’eau chaude d’un robinet et nous fumions en douce en ouvrant la fenêtre.
Isabelle avait un superbe visage, les traits magnifiquement dessinés autour d’une bouche solaire. Elle était douce, désespérée et sanguine et elle l’avait été énormément à l’air libre. C’était sa cinquième année d’HP et il n’était nullement question de sortie.
Elle m’avait carrément montré de l’hostilité au début. J’ai ensuite tout fait pour rompre la glace, la séduire, lui faire sentir que je l’aimais, que j’étais fasciné par son visage, ses jambes entravées, sa mauvaise humeur, sa résistance, sa solitude, ses fringues gothiques, sa volonté farouche de souligner sa singularité à travers ses attitudes, ses moues, son maquillages, ses tirages de gueule, son allure, la seule à ne pas apparaître comme une « malade » dans ce pavillon.
J’avais vaincu ma timidité pour l’approcher pour la première fois un soir dans sa chambre. Elle m’avait scruté des yeux, puis sourit et m’offrit un café. Elle parla de Mylène Farmer, de tous ses disques et nous nous laissions entraîner dans les mélodies en susurrant les paroles. Elle se retrouvait dans ses fêtes dont la dernière lui avaient été fatale. Elle dit qu’elle était lesbienne, moi je lui répondis : dèpe. Un peu plus à l’aise, je lui caressais le dos et lui fis des petits bisous. Elle rayonnait. Nous nous parlions peu sauf pour nous dire qu’on se faisait chier. Elle voulait retrouver les fêtes, les boîtes, les filles, l’alcool. Nous recréions une ambiance dans la chambre à déconner et à l’enfumer en secret.
Kamel nous y rejoignit tous les soirs. Il n’arrêtait pas de me taquiner :
- Je suis sûr que t’aime les Arabes à cause de leur grosse bite.
Je n’étais pas le dernier à le renvoyer dans les cordes et notre passe-temps était de nous charrier et de rire, de nous lamenter juste un petit peu et nous dire en silence qu’heureusement on se retrouvait tous les trois car nous étions vraiment complices pour nous égayer avant de trouver le sommeil dans notre simili night-club.
Kamel finit par me casser la gueule parce qu’il me jugeait trop « sarcastique ».
Laurent parvint à me faire faire le mur pour que nous blottissions au bord de la Marne avec une bouteille de champagne.
Lisa m’impressionna car elle avait été bibliothécaire et amie de Guy Debord et me chantait des chants yiddish de son enfance après les dîners. J’adorais cette langue.
J’étais sur le cul quand j’appris que Martine avait tout juste quarante ans alors qu’elle en faisait soixante-dix avec sa bouche édentée et ses cheveux blancs. Elle était ici depuis vingt ans et parlait comme une vieillarde-petite fille.
Je sortis de la Maison Blanche et retrouvai le parquet chaleureux de mon appartement, la légère odeur d’ambre et de lavande. Je me sentis retrouver un réacteur de chaleur. Mon corps n’était plus exposé aux quatre vents du parc. Ma coquille était toujours là.
J’avais à inventer une nouvelle vie où mes nombreux amis s’étaient éclipsés, effrayés ou gênés par le tatouage que désormais je portais à jamais : HP.

La danse

Je croyais que c’était bien d’aller à l’HP. C’est ce que m’avait expliqué l’ambulancier.
- Ce sera la campagne et vous verrez vous serez bien.
En traversant la Seine et Marne, je vis beaucoup de jardins, de fleurs blanches, de lapins. Je trouvais ça beau.
Arrivé dans l’un des multiples pavillons de l’hôpital, je pris possession de ma chambre où étaient inscrites au crayon une multitude d’équations avec des racines carré qui se baladaient dans tous les sens. Je dormis.
Ensuite, euphorique, j’avais besoin de dire à toutes les femmes internées et aux infirmières qu’elles étaient belles. Je dessinais des fleurs sur les murs et on me dit que c’était interdit.
Le plus dur c’était l’impossibilité de sortir du pavillon. Il y avait beaucoup de bruit de clés. Parfois les infirmiers couraient en groupe : il y avait une urgence. J’avais remarqué un dèpe parmi eux : il avait des yeux de biches qui avait joué, en une seconde, du regard de connivence avec moi tout en le censurant. J’avais repéré un médecin maghrébin. Il devint mon psychiatre, le genre sympa et souriant. Il avait un accent de bledar.
Le pavillon ressemblait à une immense garderie avec sa salle commune, le réfectoire et le salon de télévision au rez-de-chaussée, les chambres individuelles à l’étage.
Maria était souvent enfermée dans la sienne. Elle hurlait et frappait constamment à sa porte et des infirmières allaient l’engueuler pour que ça cesse. Il est vrai que c’était pénible, je me tordais de douleur à entendre ses cris car ils ruisselaient de souffrance, celle, brute, qu’on a au plus profond de soi et qui vous enferme, l’insupportable. Elle n’en pouvait plus mais on ne savait pas de quoi car souvent Maria perdait l’usage de la parole. Elle avait de grands yeux et la bouche tordue d’où coulaient des filets de salive. Et je crois que je n’étais pas le seul à souffrir pour elle. Les malades, le personnel soignant étaient affectés par ses appels au secours mais personne ne comprenait ce que Maria voulait, elle non plus peut-être. Elle était murée dans une seule expression : le cri. Elle avait ses heures de Maria-bête au sens animal, tellement habitée par cette condition qu’on avait du mal à imaginer qu’elle en avait connu une autre. On aurait très bien pu la représenter dans une jungle hurlant à la mort, c’était ce qu’elle nous disait : les mêmes vibrations de celle qui sentait la vie s’échapper et en éprouvait la trouille, une révolte immense où elle menait jusqu’au bout le dernier combat pour se faire entendre, comme le son qui s’échappait de sa bouche devait lui prouver qu’elle était animée par le souffle du hurlement la sortant de l’apnée, de l’arrêt, du meurtre qu’elle voyait arriver. Ses yeux étaient effrayés puis mélancoliques et peinés quand tout s’était arrêté.
Un jour, elle portait une robe de velours bordeaux. Elle était belle, le visage soigneusement dessiné, un corps qui retrouvait une grâce quand elle se redressait car elle marchait cassée en deux. Et j’étais fier qu’elle parvienne à danser avec moi. Je l’avais invitée sur un coup de tête, nous n’étions que tous les deux devant les autres, je fredonnais un air, voulus l’entraîner dans une valse mais celle-ci s’était transformée en de grands pas qui nous soulageaient l’un et l’autre, nous regardant dans les yeux, en nous souriant, presque comme des amoureux.
Je parvenais à la calmer plusieurs fois comme ça.
Une autre femme s’était enchaînée imaginairement à un radiateur. Elle ne voulait jamais le quitter même pour aller manger. Une autre marchait comme si elle voyait devant elle le Christ. Elle portait une grande croix en bois et elle écarquillait les yeux, lui parlait comme on parle à un messie et lui racontait toute sa douleur aussi.
Du salon télé, on entendait toujours la femme de ménage gueuler :
- M Bigentsein faut arrêter. C’est pas vrai ça.
M Bigenstein était un grand et vieux monsieur obèse qui n’arrêtait pas de se branler en regardant TF1 constamment allumé. C’était horrible à voir, tout le monde désertait le salon télé, et M Bigenstein en mettait partout et l’odeur était prégnante.
M Larbi,lui, aimait chier dans le même salon télé si bien qu’on avait vraiment envie de dégueuler. Et quand il allait aux toilettes, il faisait à côté si bien qu’on ne pouvait pas y aller. C’était gênant. Il n’y avait jamais assez de personnel pour nettoyer. Les infirmières, tout juste assez nombreuses pour que le bordel tienne en équilibre, disaient que c’était vraiment pas normal cette compression du personnel dans les HP, que l’opinion publique ne pouvait s’en rendre compte, il n’y avait que les malades et leurs familles.
Au bout d’un certain temps, on avait des heures de sortie et c’était bien même si l’enceinte était trop grande pour se balader partout : ils avaient constitué des secteurs et chacun d’entre eux correspondait à un arrondissement de Paris. Il y avait quelques arbres mais surtout d’immenses pelouses avec des flèches et plans partout pour ne pas se paumer.
J’aimais aller à la cafeteria. Il y avait Laurent. Il était malade et employé comme serveur. Il souriait tout le temps. Il était beau avec ses mèches, un côté Benoît Magimel à 25 ans, très Titi parisien. Je ne savais pas que c’était un gigolo. J’étais tellement accro que je suivais tous ses mouvements.
Nous avons fini par faire connaissance. Il m’a dit qu’il avait perdu sa mère. Le chagrin l’avait conduit ici, mais ça, je l’ai déduit. Il semblait prêt à faire les quatre-cents coups, surtout pour aller fumer des pétard avec son copain Désiré l’Antillais, une bête de beauté. Nous étions tous les trois dans un fourré à tirer sur le bédot et eux, me paluchait des patins dorés. Désiré sortait des broussailles et tournait sur lui-même, les bras en croix, en souriant au ciel gris et menaçant :
- Je suis le roi du monde ! Je suis le roi du monde.
Et nous rigolions.
Laurent était toujours prêt pour les bédots, les patins et que je lui touche la bite et tout le reste qui s’en suit. Désiré n’était pas le dernier. Finalement, j’avais mon petit havre de tranquillité ici sauf un détail qui me perturbait : les médicaments me faisaient sentir un décalage entre le moment de la jouissance et de l’éjaculation. Mon psychiatre le blédard éclata de rire quand je m’en enquis auprès de lui et me promit que ce ne serait que mieux lorsque j’aurai arrêté de les prendre, surtout le cachet vert pomme, principal responsable de tous ces désagréments.

Première dérive

A mon retour d’Egypte, je retrouvai Fejria et j’étais fou d’elle. C’était la joie de vivre, l’espérance qu’elle me désire. Je remarquai au passage qu’à Louxor, j’avais été séduit par des hommes, j’avais même goûté au plaisir de m’imaginer femme. Fejria faisait disparaitre toute attraction pour les hommes. J’achetai mon premier cadeau : un magnifique vase. En lui remettant, je lui dis que c’était le réceptacle des innombrables bouquets de fleurs que je lui offrirai. Elle me regarda très affectueusement, me dit que ça n’allait pas être possible, qu’elle était « mariée », qu’elle avait un enfant, voilà. Je me souviendrai toujours de son regard à ce moment-là si tendre et contrariée.
Je ne m’en remettais pas. Je me disais qu’avec les années, elle finirait par céder. C’était sûr qu’on s’aimait.
En attendant j’avais une poussée d’hétérosexualité qui me surprenait. J’avais déjà goûté mais cette fois-ci je voulais savourer, surpris par des bouffées de désirs qui m’apparaissaient authentiques.
J’arrêtai mon régulateur d’humeur et tout se dérégla. Oubliée Fejria, je tombai sur une jeune femme venue d’Angleterre, encore fascinée par la violence anti fasciste de son copain skinhead londonien. Elle m’apparaissait larguée. Nous parlions souvent de cul crûment. Un jour, elle me fit une proposition :
- Si tu veux on peut baiser ensemble. Si ça peut te dépanner, ça m’est déjà arrivé de déniaiser un gay.
Son visage était très joli, son corps était une bombe. Elle changeait souvent de copain, déboussolée. Quand nous avions des conversations sérieuses, je ne comprenais pas toujours ce qu’elle me disait tant ça ressemblait un salmigondis de formules un peu théoriques captées ici ou là. Ce n’était pas elle qui parlait. Par contre dans nos échanges affectueux, elle était vraiment présente. Je crus à la validité de sa proposition. Dans un miroir, j’observai mon visage et imaginais le sien superposé au mien : me vint l’envie d’avoir un enfant avec elle. Un soir, elle m’invita à dormir dans son lit. J’étais nu, elle avait gardé un string. Nos orteils se touchaient, je bandais contre son dos. Elle rigolait, répétait non. Je lui disais : rappelle-toi ta promesse. Et elle de dire que non, c’était non.
Il me semblait qu’une femme inconnue m’aimait. Surgit une troisième jeune fille, ce fut le fiasco. Je finis en vain par l’attendre dans une chambre Mercure de la gare de Lyon. Radio Nostalgie diffusait des tubes anciens et une voix grave répétait « La légende du siècle ». J’étais assez euphorique pour croire qu’il parlait de moi. Je pensai être filmé dans la chambre, être rejoint par elle, j’imitai un coït sur le lit, écrivit un poème qui commença par « 1-2-3 Nous irons au bois ». Je regardais les émissions religieuses et me convertis aux trois monothéismes. J’étais en larmes au moment de la prière vers la Mecque et me retrouvai dans la gare en train de mendier une pièce à tous les Maghrébins que je croisais en les appelant mon frère.
Puis je dérivai dans Paris. Je savais qu’il y avait quelque chose d’exceptionnel en moi mais je ne savais pas quoi, convaincu en tout cas que ça allait se terminer par une fête avec la direction du journal et mes confrères. Ca aurait été un grand banquet où fêterions l’abondance de noueaux moyens pour faire un journal plus indépendant, plus étoffé, plus critique, populaire et de meilleure qualité à la fois. Je croyais que ça allait être la fin pour moi des reportages de guerre ou sur l’électorat du Front national, la fin du stress, de l’astreinte, des urgences. J’allais être un journaliste reposé qui plus est avait enrichi mon journal.
Il fallait pour cela que je suive un jeu de piste dans Paris où un signe me faisait créer une triangulation avec deux autres signes. Je croyais que des caméras ultra-puissantes me filmaient depuis la tour Eiffel. J’étais épuisé. Je ne me sentais à la hauteur de l’explorateur que l’on attendait de moi. Je finis par craquer en entrant dans une petite banque. Au guichet, je simulai un malaise cardiaque. Les pompiers arrivèrent, m’allongèrent sur un brancard et je fis un doigt à un pompier en le traitant cinq fois « d’enculé, je vais te baiser ». Celui-ci était fou furieux, raconta que je simulais. Ils appelèrent alors la police qui m’embarqua dans son fourgon, je simulai un nouveau malaise assez convaincant pour que je repasse entre les mains des pompiers. Je retrouvai celui que j’avais martyrisé et réitérai les mêmes injures en déconnant. Cette fois-ci je passai une nuit à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Le médecin me relâcha.
J’errai à nouveau dans Paris. Je me prenais pour un nouveau ictor Hugo, j’avais assez écrit sur les souffrances des peuples. Peut-être qu’une révolution secrète avait eu lieu, une révolution de velours de refondation républicaine, et ce n’était pas très clair dans ma tête, mais j’y avais tenu un rôle discret mais prééminent.
Je crus qu’une foule m’attendait sur les Champs-Elysées. Je pris le métro. J’étais habillé d’un beau costume, d’une chemise, d’une cravate et de chaussures élégantes. J’étais toujours aussi débordant d’euphorie. Je fis un numéro de claquettes tout en tournant autour de la barre d’appui. Un jeune lycéen rebeu me regarda avec émotion. Je me dis que c’était peut-être la dernière fois que je prenais le métro et j’en conçus une certaine nostalgie.
Sur les Champs, il n’y avait que des passants. J’abordais les femmes accompagnées de leur mari en tournant autour d’elle avec mes bruits de claquettes qui reprenait la rythmique de « Prends garde à toi » de Carmen. Les femmes et les maris étaient souvent souriants. Pour moi, c’était le dernier challenge à accomplir. Je voulais retrouver mes amis et le banquet. Je notais que les voitures ralentissaient à ma hauteur, les passagers me souriaient, je crus qu’ils voulaient m’inviter à monter à bord pour me conduire au banquet de la victoire.
Je choisis une vieille caisse défoncée avec à bord à trois mecs qui reseemblaient et parlaient comme des petite frappe. Ils voulurent m’emmener au bois de Boulogne pour « faire le petit train ». Je refusai, commençai à avoir.
-Où veux-tu aller, alors ?
- Je ne sais pas. Conduisez-moi à mes amis, c’est eux qui m’attendent vous le savez.
On fit plusieurs tours dans Paris à tergiverser. Puis le chauffeur s’énerva.
- Puisque c’est comme ça, on a au Stade de France.
Et il prit l’autoroute du Nord, les tunnels qui menaient à l’édifice. Je protestai. Un téléphone sonna. Le chauffeur décrocha et me tendit le combiné :
- Tiens, c’est un ami à toi qui veut te parler.
J’entendis un allo qui faisait beaucoup d’écho, comme si elle alimentait une sono géante.
- Allo Dominique.
Je pris peur. Pour moi c’était la voix du Directeur du Musée. Pourquoi une telle coïncidence ? Je ne voulus pas lui parler. Je répétai aux autres que maintenant ça suffisait, il fallait que ça s’arrête.
Ils me lâchèrent dans une mini décharge publique au pied d’une cité en m’envoyant un coup de poing au foie et en me disant, eux ces parfaits inconnus :
- Et bien maintenant, termine le ton roman.
Effectivement, j’en écrivais un. Comment le savaient-ils?
Je fis un concert de percussions en frappant sur des portes de boxes de garage. Les lumières des immeubles s’allumèrent. Des policiers arrivèrent, me menottèrent et me conduisirent aux Urgences. Je fus interrogé par un psychiatre. La préfecture décida de m’interner à l’hôpital psychiatrique de la Maison Blanche sur la base d’un faux témoignage d’une aide-soignante de l’accueil. Celle-ci a délibérément menti en déclarant que je l’avais dragué, voire harcelé. Je n’avais croisé aucune femme pendant mon attente aux Urgences, solidement encadré par des policiers. Pourquoi ce faux ? Pourquoi en avaient-ils besoin ? Je n’ai toujours pas la réponse.

vendredi 19 février 2010

Louxor

J’étais donc en partance pour l’Egypte, aéroport d’Orly, en compagnie du Directeur du musée organisateur de l’exposition dont nos reportages allaient assurer la promotion. Toute la presse était là, y compris Paris-Match. Nous attendions au comptoir à bagages et je fus très surpris de voir le Directeur se poster devant moi, se retourner et se pencher pour, me sembla-t-il, offrir une vue imprenable sur son postérieur. A part ça, il était sympathique, plutôt bel homme, toujours un livre à la main. A l’arrivée au Caire, je surpris son regard qui scruta, avec un plaisir de voyeur non dissimulé, mes yeux posés sur un gros douanier que je trouvai assez érotique.
Nous prîmes possession de nos chambres dans un palace à Louxor. Au premier rassemblement dans la salle à manger, un serveur qui avait la particularité d’être un très beau jeune homme, se précipita sur moi et ouvrit ma veste en me caressant le torse :
- Quel beau vêtement !
Le Directeur ne perdait pas une miette du spectacle et semblait se régaler. Moi j’étais très en colère de cette intrusion, de cette drague qui puait la grossièreté et un mauvais coup. J’avais une certaine expérience dans ce domaine. Je le repoussai énergiquement. Il insista encore pour me toucher, chercher à croiser mon regard, voire à être caressant. J’étais troublé : c’était peut-être l’un des plus beaux hommes de ma vie que j’ai jamais rencontré mais son attitude était brutale, presque celle d’un violeur. Je m’assis et j’avais peur de lui, de sa violence.
Sur les ruines du village des artistes des pharaons, je découvre avec délice l’histoire de ces hommes et femmes entièrement consacrés à la beauté des tombes. Les hommes travaillaient, les femmes s’occupaient de la maison et de l’éducation des enfants en cultivant un talent magnifique de poétesse. Dans ce village les gens se mariaient entre eux et c’est ainsi qu’était apparu une lignée. Vue la taille modeste du village, la question de l’inceste se posait peu ou prou. Je l’abordai, on me rassura.
On visita une tombe de reine fermée au public. Le directeur du patrimoine de Louxor était un homme âgé, intarissable et convaincant sur son amour des femmes. Il était drôle. Il nous conduisit dans la stèle funéraire et là, je fus saisi par autant de beauté. C’était une deuxième chapelle sixtine à « la pharaonne » mais beaucoup plus belle encore. Je ne pouvais m’en détacher, je demandai cinq minutes supplémentaires. On me laissa seul. J’aurais voulu passer le reste de ma vie à cet endroit. Le haut fonctionnaire égyptien vint me chercher et m’arrêta dans l’escalier qui commençait à être baigné de lumière. Il me regardait de façon très profonde dans les yeux et il me parlait de la beauté du regard des femmes. Il était très habité par ses paroles, très délicat et ne quittait pas mon regard. J’avais l’impression d’être une femme et phantasmait sur le fait qu’il voulait parler de mes yeux. J’étais à deux doigts d’en tomber amoureux.
Nous nous rendîmes à un temple en restauration. Un ouvrier au visage buriné et rustique me regarda, un air un peu troublé, indifférent, insistant et toujours disponible pour vérifier si un plan de sexe était possible, sortit de son ambivalence pour me désigner la porte. Je la franchis, il me rejoignit. Il me guida derrière l’édifice où il souleva sa djellabah pour m’offrir son sexe raide. Je le caressai un peu. Mais j’étais gêné par autant de facilité. Je ne le désirai pas, je n’aimai pas cette situation. Un journaliste posté sur le toit nous surprit et fit mine de ne rien voir. J’étais réellement mal à l’aise et partit pour le déjeuner sous une tonnelle.
Je me restaurais et surprit le Directeur du musée chuchoter au serveur qui m’avait agressé en voulant me séduire :
- Il a peur.
Je lui demandai ce qu’il venait de lui dire. Il ne me répondit pas, embarrassé. Ensuite lorsque nous étions sur un site qui avait été le théâtre d’un attentat islamiste, j’étais à côté de lui. Je lui rappelai l’attentat. Il avait le visage décomposé. De grosses gouttes perlaient sur ses tempes. Il bafouillait au lieu de me répondre, je lisais une grande panique. J’étais censé faire un deuxième petit reportage publiable immédiatement. Il était très inquiet sur son contenu, très craintif que je parle de lui, du musée, je ne sais quoi d’autre. C’était étrange.
Puis nous allions sur un autre site où un conservateur effectuant des fouilles fit une longue intervention qu’il ne cessa de ponctuer par des silences où il me regardait fixement et de manière pas franchement sympathique, comme s’il retenait une colère contre moi. Cela me déstabilisait d’autant qu’il parla d’absence d’inceste chez ces artistes de pharaons et des dangers d’interprétations totalitaires. Je ne peux être précis car une grande panique s’empara de moi. Je retrouvai soudain celle qui s’empara de moi au Monténégro après mon empoisonnement. Elle avait la même intensité, la même dangerosité, les mêmes effets dévastateurs.
Il parlait, il était en colère contre les totalitaires et j’étais persuadé que c’était moi l’accusé. Les autres journalistes s’écartait de moi et le même processus qu’à Dubronik s’enclencha. Les uns et les autres semblaient m’accuser, eux aussi, par de petites réflexions, insinuations, sous-entendus, autant de flèches qui me mirent à terre. Nous rentrâmes à l’hôtel. Il y avait un grand dîner avec le directeur du patrimoine.
Enfermé dans ma chambre, je vécus le supplice des pensées parasites qui revenait. Il fallait que je me répète que je n’étais pas nazi, fasciste, pédophile, l’incarnation du Mal même si j’étais persuadé qu’aux yeux de tout le monde, j’étais devenu répugnant et un concentré de tous les crimes. C’était vraiment comme à Podgorica, ce qui me fait penser maintenant que j’avais avalé un poison. Je pouvais plus rien contrôler, entraîné dans une spirale où je ne méritais que l’enfer, une nouvelle fois déchu.
Le téléphone sonna. Un homme anonyme imita des soupirs érotiques et un orgasme. Il recommença trois fois comme cela.
Une conservatrice du musée frappa et entra dans ma chambre, inquiète de mon absence au dîner. Je lui dis que ça n’allait pas, expliqua, sans accuser d’empoisonnement, que j’avais déjà eu des ennuis psychiatriques et que là, j’avais l’impression de faire une grosse crise. Elle voulut me faire parler, me faire raconter mes frayeurs. Je voulus surtout pas lui raconter le contenu de mes pensées parasites, j’avais trop honte et l’impression de me suicider si je le faisais. Je fus donc emmuré dans mon silence. Un médecin me fit une piqûre, je dormis. Et le lendemain tout le monde était gentil.
Le Directeur du musée profita d’un moment pour me montrer sur le mur d’un temple un bas relief de vache dont le centre était orifice annal, très ouvert, presque éclaté.
- Regardez si ce n’est pas beau cela.
Puis il me demanda de me faire visiter la nuit au Caire car je lui avais raconté son incroyable animation.
Arrivé là-bas, il annula. Nous avions un dîner avec un ministre. Le journal voulait me faire rapatrier immédiatement et devant mon refus, me fit signer une décharge. Ce qui fut bizarre, c’était l’insistance mise par le Directeur du musée à faire visiter sa chambre aux journalistes tout en répétant :
- Vous voyez, il n’y a rien.
Une anomalie de plus. Je rentrai désorienté, inquiet de cette nouvelle poussée de pensées parasites, d’une crise supplémentaire, moi qui croyais en avoir été complètement débarrassé.

jeudi 18 février 2010

Fejria

Je rencontrai Fejria la première fois au jardin des Tuileries. Elle avait des cheveux noirs irisés par le soleil, un visage doré, une douceur de lait, portait des Ray-Ban, affichait d’emblée un solide caractère. Elle était attirante, pas franchement joyeuse. Elle avait ce quelque chose chez une personne que l’on voulait sonder. Nous étions quatre assis à une table de cafeteria et nous parlions chacun de notre psychanalyse. Nous sortions d’une exposition consacrée à Lacan au Jeu de Paume. Elle cherchait ses mots, sa langue était précieuse, recelait à la fois la révolte, la sensibilité et la recherche de la beauté, la recherche tout court. Elle faisait part de son mal-être et je me disais : cette fille a tout pour elle, c’est dingue comme elle pourrait être heureuse. Ses parents étaient Algériens. Elle avait grandi dans une famille de six enfants à Orly. Elle était comédienne et actrice dans des films de cinéma et de télévision. Cela marchait relativement bien pour elle. Elle m’impressionnait. Sa beauté, son intelligence, sa forte personnalité brillaient. Je sentais une sensualité qui n’était pas totalement épanouie. Sa manière dont elle parlait de sa psychanalyse me laissait deviner, peut-être à tort, que tout était cérébral chez elle. Quatre ans passèrent. Je l’oubliai.
Je revenais de New York. Le médecin me fit arrêter le fameux médicament Zyprexa et je perdis très vite mes kilos. L’expérience new-yorkaise avait fait de moi un homme neuf, rajeuni, enthousiasmé par Big Apple, inquiet de constater qu’une nouvelle page d’histoire s’était tragiquement tournée et que nous connaissions une drôle de guerre. Mais l’énergie et le courage des New Yorkais, ma rupture avec Paris et mes dernières miasmes sentimentales me laissait entrevoir que l’avenir m’appartenait. Paris semblait une belle ville italienne endormie mais je voulais dévorer plus que jamais son multiculturalisme. Je voulais redémarrer une vie.
Je revis Fejria. J’en tombai littéralement, passionnément amoureux. Je dégustais son corps, je me voyais faire l’amour avec elle, je la désirais, c’était nouveau et surprenant. J’avais l’impression d’être Christophe Colomb, un homme qui se réveillait, un gay qui avait fait le tour d’une sexualité et qui découvrait un sentiment de complétude, de gourmandise érotique, de désirs d’enfants, de sérénité avec Fejria, uniquement elle. J’aimais trop comment elle riait, gueulait, parlait de choses et légères, toujours vive, profonde, pertinente et terriblement humaine. Je sentais une sensibilité et une souffrance des origines qu’elle sublimait totalement en diffusant le miracle d’être LA femme et la volupté jusqu’au bout des ongles. Elle était vraiment très belle, envoûtante, très féminine et parfois un côté un mec qui s’effaçait rapidement. Elle était émouvante et son corps était à croquer. J’étais transporté, habité, déjà heureux, je ne voulais plus la quitter, tentais de gagner toujours du temps passé avec elle. J’étais très surpris de me retrouver en situation de désirer une femme, pas étonné de vouloir la sentir le long de mon corps, dans un lit, au plus profond d’elle-même. Il me semblait que je l’avais charmé, je lui faisais ouvrir des sourires grands comme ça et des yeux qui trouvaient l’étrange lumière des amoureux, tendre, complice, coquine et réveillée par une faim insoupçonnée.
J’étais sûr de moi. Elle envoyait trop de signes. Je sentais qu’elle n’était pas vraiment épanouie avec son compagnon. Elle avait un fils, c’était déjà le mien et je mourrais d’envie de lui donner des frères et sœurs. Je lisais les petites annonces des agences immobilières pour m’installer avec elle. Je me regardais dans un miroir. J’embellissais. Je retrouvais mon visage de mes vingt ans, il est vrai très féminin. Nos rencontres étaient espacées, toujours en compagnie d’autres amis. Je rêvais de la possibilité d’un tête à tête avec elle. Je me sentais totalement régénéré et c’est à ce moment là qu’au journal, on me proposa de faire un reportage en Egypte sur la lignée des artistes de Pharaon avec la visite de la Vallée des Reines à Louxor. Premier reportage tranquille en onze ans de maison ! J’acceptai sans imaginer qu’un nouveau piège allait se refermer sur moi.
Je rencontrai Fejria la première fois au jardin des Tuileries. Elle avait des cheveux noirs irisés par le soleil, un visage doré, une douceur de lait, portait des Ray-Ban, affichait d’emblée un solide caractère. Elle était attirante, pas franchement joyeuse. Elle avait ce quelque chose chez une personne que l’on voulait sonder. Nous étions quatre assis à une table de cafeteria et nous parlions chacun de notre psychanalyse. Nous sortions d’une exposition consacrée à Lacan au Jeu de Paume. Elle cherchait ses mots, sa langue était précieuse, recelait à la fois la révolte, la sensibilité et la recherche de la beauté, la recherche tout court. Elle faisait part de son mal-être et je me disais : cette fille a tout pour elle, c’est dingue comme elle pourrait être heureuse. Ses parents étaient Algériens. Elle avait grandi dans une famille de six enfants à Orly. Elle était comédienne et actrice dans des films de cinéma et de télévision. Cela marchait relativement bien pour elle. Elle m’impressionnait. Sa beauté, son intelligence, sa forte personnalité brillaient. Je sentais une sensualité qui n’était pas totalement épanouie. Sa manière dont elle parlait de sa psychanalyse me laissait deviner, peut-être à tort, que tout était cérébral chez elle. Quatre ans passèrent. Je l’oubliai.
Je revenais de New York. Le médecin me fit arrêter le fameux médicament Zyprexa et je perdis très vite mes kilos. L’expérience new-yorkaise avait fait de moi un homme neuf, rajeuni, enthousiasmé par Big Apple, inquiet de constater qu’une nouvelle page d’histoire s’était tragiquement tournée et que nous connaissions une drôle de guerre. Mais l’énergie et le courage des New Yorkais, ma rupture avec Paris et mes dernières miasmes sentimentales me laissait entrevoir que l’avenir m’appartenait. Paris semblait une belle ville italienne endormie mais je voulais dévorer plus que jamais son multiculturalisme. Je voulais redémarrer une vie.
Je revis Fejria. J’en tombai littéralement, passionnément amoureux. Je dégustais son corps, je me voyais faire l’amour avec elle, je la désirais, c’était nouveau et surprenant. J’avais l’impression d’être Christophe Colomb, un homme qui se réveillait, un gay qui avait fait le tour d’une sexualité et qui découvrait un sentiment de complétude, de gourmandise érotique, de désirs d’enfants, de sérénité avec Fejria, uniquement elle. J’aimais trop comment elle riait, gueulait, parlait de choses et légères, toujours vive, profonde, pertinente et terriblement humaine. Je sentais une sensibilité et une souffrance des origines qu’elle sublimait totalement en diffusant le miracle d’être LA femme et la volupté jusqu’au bout des ongles. Elle était vraiment très belle, envoûtante, très féminine et parfois un côté un mec qui s’effaçait rapidement. Elle était émouvante et son corps était à croquer. J’étais transporté, habité, déjà heureux, je ne voulais plus la quitter, tentais de gagner toujours du temps passé avec elle. J’étais très surpris de me retrouver en situation de désirer une femme, pas étonné de vouloir la sentir le long de mon corps, dans un lit, au plus profond d’elle-même. Il me semblait que je l’avais charmé, je lui faisais ouvrir des sourires grands comme ça et des yeux qui trouvaient l’étrange lumière des amoureux, tendre, complice, coquine et réveillée par une faim insoupçonnée.
J’étais sûr de moi. Elle envoyait trop de signes. Je sentais qu’elle n’était pas vraiment épanouie avec son compagnon. Elle avait un fils, c’était déjà le mien et je mourrais d’envie de lui donner des frères et sœurs. Je lisais les petites annonces des agences immobilières pour m’installer avec elle. Je me regardais dans un miroir. J’embellissais. Je retrouvais mon visage de mes vingt ans, il est vrai très féminin. Nos rencontres étaient espacées, toujours en compagnie d’autres amis. Je rêvais de la possibilité d’un tête à tête avec elle. Je me sentais totalement régénéré et c’est à ce moment là qu’au journal, on me proposa de faire un reportage en Egypte sur la lignée des artistes de Pharaon avec la visite de la Vallée des Reines à Louxor. Premier reportage tranquille en onze ans de maison ! J’acceptai sans imaginer qu’un nouveau piège allait se refermer sur moi.

Epuisement et état des lieux

Revenons à aujourd’hui, un certain jour de février 2010. Je regarde un match de Ligue 1. Les forces magnétiques s’acharnent à arracher ma tête d’un livre posé sur le canapé pour la fixer toute entière sur le ballon. Elles lui font suivre sa trajectoire, l’anticipent même. Elles veulent absolument me démontrer que je suis le ballon et que bientôt ce sera le pied (ma tête sur se fixe des pieds de joueurs, de table, de chaise). Elles s’acharnent parce que je m’interroge et que je suis épuisé.
Ces forces magnétiques reviennent toujours à la charge. Elles sont têtues et colériques quand je doute des messages qu’elles veulent m’envoyer. Et pour me mettre les points sur les i, elles me font suivre le ballon puis arrêtent ma tête sur une ligne blanche de la pelouse : le ballon est en paix. Il faut y croire, ne pas avoir peur, ne pas se décourager. Le Joueur et le ballon vont gagner. Leurs ennemis : les marchands de canon, les spéculateurs financiers, les accros de la concentration de richesses, de haute-technologies et de savoir, leurs politiciens appointés, leurs services secrets et leurs auxiliaires qui une fois leur identité dévoilée laisseront tout le monde cois. Ils vont droit dans le mur, commencent à paniquer, à se coucher, envisagent des replis...
Moi, je veux bien le croire. Mais je ne crois que ce que je vois. Je vois bien que le monde peut basculer vers le meilleur comme le pire d’ailleurs. Je voix aussi beaucoup de paix dans mon appartement, cette couleur blanche et ces brillances argentées qui parsèment mon salon. Je vois le bleu des vacances, pour moi, le Joueur, et la planète entière. Je vois les combattants (couleur verte) à l’ombre. Je vois le cul de ma petite chèvre en plastique (c’est moi !) remonter et entrer dans la fente de ma mappemonde tirelire de mes dix ans : elle est vouée à faire de l’or pour toute l’humanité.
Non, mais ça ne va pas s’arrêter ce délire ? J’en ai marre de ce langage cosmique qui épouse mes états d’âme, mes interrogations, mes lassitudes pour prendre la liberté de faire bouger violemment ma tête sur des objets ou couleurs-mots et- fabriquer une ou deux phrases qui se transforment en communiqués de victoire sur le mode enfantin.
Je partage cet univers à quelques amis qui restent dubitatifs, à mon psychiatre qui m’encourage à cultiver ces nouveaux territoires. Mais ce langage cosmique prend toute la place au point que j’ai l’impression de vivre avec le Joueur comme un couple déjà installé. Quand je suis fâché avec lui, il trouve toujours le moyen de me rappeler à l’ordre, d’implorer la paix, la réconciliation, des baisers sur son nez que j’aime lui faire sur un coin d’oreiller, il donne des piqûres dans les mollets, d’irrépressibles démangeaisons sur les bras, sur le crâne ou à l’orifice de son nez comme il en est la proie devant les caméras de télévision.
J’ai l’impression de n’être qu’un lecteur mécanique, un robot-pantin soumis à des forces physiques dont la puissance est parfois insoutenable. J’ai perdu mes jambes, la gratuité d’un regard, la neutralité, la gratuité d’un regard (tout est interprétation de signes). Il me reste des pensées vagabondes, des souvenirs d’enfance ou un passé plus douloureux, mais toujours ma voix qui parle au Joueur et ce dernier qui me répond aussi sec. J’ai besoin d’être anesthésié, de dormir, d’oublier, de goûter à la vraie solitude, de le lâcher, QU’IL ME LACHE, qu’on se retrouve d’accord mais que je me retrouve sans être dans une relation totalement exclusive avec cet être, tout cosmique qu’il soit. J’ai l’impression d’être dans une prison, une chambre de none, une cour de Quartier de Haute Sécurité.
Bien sûr, il y a plein d’occasions de se payer des bosses de rire, des moments d’érotismes torride, des tocades mais là c’est trop. Et puis toujours ces incertitudes infirmés par de rares moments de télévisions. Comme ce matche de bienfaisance filmé par Canal Plus où complètement extasié, je lui disais tout mon amour et je le voyais pleurer et regarder droit dans la caméra quand un journaliste se mit à conclure : « Celui-là, c’est où qu’il veut, quand il veut ». Une autre émission où il faisait fixer ma tête en haut à droite pour la faire descendre brusquement en bas à gauche pour que mon regard se pose sur sa main qui en un seconde fit le V de la victoire. Cette interview dans le Parisien où il déclaré être venu avec son « très fidèle ami Toutou » alors que dans mon appartement notre jeu consiste à ce que je l’appelle mon chat et que je lui répète que je serai sa chienne, en inventant un surnom : Toutou ! Et en répétant en rigolant : « attention Toutou la chienne va se déchaîner pour toi, tu ne vas pas t’en remettre ». Je dois dire qu’il m’a soufflé quand il a réussi à replacer Toutou.
Sans compter les intenses démangeaisons que nous nous déclenchons au même endroit au même instant quand il est sur un plateau TV…

mercredi 17 février 2010

Ma résurrection à New York

J’écrivais peu, j’avais le sentiment de retrouver lentement mes fonctions journalistiques comme un accidenté de la vie retrouvait ses fonctions psychomotrices. J’étais saisi par des crises de panique dont je me demande encore comment je les surmontais si ce n’était que je me perdais dans les rues, à pied ou en voiture. J’étais incapable de décrire autrement qu’en m’accrochant aux paroles des gens.
J’étais parfois suivi par des agents secrets. Je les voyais faire des filatures et quand je voulus leur signifier que je n’étais pas dupe, l’un d’eux entra dans le tourniquet du hall d’entrée d’une banque et remit discrètement une enveloppe à un homme qui en sortait, un peu comme un dealer de coke faisait sa transaction. J’étais impressionné. Cela surajoutait au malaise ambiant.
Un étudiant de Colombia, surfer californien d’une délicate beauté, m’expliqua qu’il partageait sa chambre avec un Afghan.
- Cela était bizarre entre nous. Encore plus au moment de l’attaque de l’Afghanistan. Nous nous sommes parlé. Maintenant, ça va à peu près.
J’avais oublié ce que voulait dire roomate (compagnon de chambre). Je connaissais ce mot mais j’étais incapable de le retrouver et je me débrouillais en me disant que ça devait être femme de ménage. Mais au fil de la conversation, ça ne collait pas et je n’osais pas lui demander. Quelque chose déraillait, le mot roomate, sa musique, la recherche du sens, sa musique surtout occupait tout mon esprit, je dus interrompre l’interview, conscient du gâchis.
Je me rabattis sur un jeune métis, également canon. Il était gay, disait qu’il ne sortait que dans les bars gays et que rien n’avait changé. Il buvait un verre. Si un mec lui plaisait, c’était OK. Je m’énervai :
- C’est tout ce que tu as à dire. Les tours ont été attaquées. Et toi, tu me racontes ta petite vie ordinaire de gay ?
Comme je reposais plusieurs fois la question en essayant de lui arracher d’autres paroles, il écarquilla des yeux et se parla à lui-même :
- Il est fou ce mec.
Ca m’ébranla encore plus. Je quittai les lieux, réconforté par des nounous brésiliennes qui à Central Park se disaient qu’il ne fallait pas perdre courage. Elles parlaient de leur avenir et d’éventuelles attaques.
Le soir, des cadres d’établissements financiers se posaient des questions sur leur arrogance, le côté nous avons été les maitres économiques du monde, n’était-ce pas inévitable.
- Il faudrait changer.
Les New-Yorkais réfléchissaient tout haut.
Je partis pour la Floride et le New Jersey sur les traces de l’anthrax, ce poison respiratoire envoyé à des membres du Congrès. On soupçonnait Saddam Hussein, c’était vraisemblablement un cinglé d’extrême droite de l’Ohio. Aucun intérêt si ce n’était de m’aménager une petite vie dans un motel que j’aimais dans la sinistre ville post-industrielle de Trenton où des gardes nationaux furent effrayés tout simplement de constater ma présence. Ils m’ont demandé de ne plus bouger dans la salle d’une mairie, de reculer, vérifiant mon identité. Encore plus effrayés, ils m’ordonnèrent de partir au plus vite tandis qu’une fille de la direction du FBI essayait régulièrement de me manipuler par téléphone en me ré-aiguillant sur la piste de Bagdad.
Dans mon motel, ma chambre ressemblait à celle des road-movies du cinéma indépendant avec mon petit frigo, ma bouilloire et un confort kitch et cosy.
Je n’avais plus d’argent, ni médicaments. Le journal devait m’en expédier mais j’attendais toujours.
Je déboulai chez un psychiatre qui se souvint qu’à Orly un Parisien l’avait financièrement dépanné. Il me prescrivit mes « drogues » contre l’angoisse et la panique.
Je revins enfin à New York pour y vivre six dernières semaines.
La ville avait retrouvé son punch et perdu son cœur, se désolait une habitante. Les cœurs, les nerfs, les jambes, les regards d’acier sont de retour, ironisait-elle. Mais New-York est enivrante par son énergie et comme elle l’avait retrouvée, la légèreté et la détermination revenaient.
Je me suis mis à faire du shopping, à boire une nuit avec mes amis, la première vraiment détendue où nous avons ri et nous nous sommes moqués et révoltés contre Georges Bush avec sa croisade contre le Mal…
Je suis parti à la veille de Thanksgiving où dans un bar, un chat me regarda fixement pendant une heure, un chat qui désarçonnait les autres clients :
- Il vous connait ? Il vous reconnait ? C’est étonnant ce qu’il se passe ?
Et je retrouvai Paris comme d’habitude comme une vieille ville italienne endormie Rive gauche, jeune, Africaine, joyeuse et souffrante Rive droite.

14 septembre 2001

Je ballottais entre des crises d’abattement et d’autres de panique, jamais je n’avais autant exploré toute la noirceur qu’un être humain pouvait porter, jamais je ne l’avais autant rejetée en regrettant les temps où j’étais plus léger et pas contaminé par l’existence des crimes et des pires abjections que l’on pouvait imaginer.
C’est ainsi que je partis en reportage _ le premier depuis Podgorica _ à New-York, le 14 septembre 2001 au terme d’un été où j’avais passé mes journées entre un canapé et une chaise dans un jardin dans une petite maison à la campagne en ne mangeant que des tomates et en me disant que je n’avais le courage de rien, qu’il valait mieux que j’attende ainsi pour aller moins mal plus tard. Quand je vis les images des tours attaquées, je n’étais pas vaillant. Je l’étais moins sur le chemin pour Roissy, un peu plus dans l’avion où je retrouvai un copain photographe que j’aimais bien.
J’ai toujours aimé New-York. C’était ma deuxième ville. J’y avais séjourné six fois. J’y arrivais et c’était comme si je rentrais chez moi. Une deuxième adresse, une deuxième peau. Tous les reporters de guerre vaillants étaient partis illico sur le front afghan. Moi, je craignais une deuxième attaque d’avion, et pourquoi pas une attaque nucléaire comme l’hypothèse était envisagée dans les salles de rédaction sur la foi de certaines craintes militaires. Je voulais couvrir cette guerre d’un autre type quitte à mourir là-bas. Je n’étais pas plus ébranlé que ça : j’imaginais ma mort par un rayon invisible, c’était dommage mais pas plus effrayant que dans les autres conflits, peut-être moins. Dans l’état où j’étais…
Dans la file d’attente devant la façade du centre d’accréditation de presse, une journaliste danoise, genre ancienne gauchiste, se réjouissait que le symbole du capitalisme se fût ainsi effondré. Je me disais en moi-même pauvre fille tout en acquiesçant sur le fait que le capitalisme avait fait des ravages. Mais je détestais ces combattants du ciel d’un autre type et redoutais désormais leur violence sans limites. Ils ne m’avaient jamais été sympathiques. Trop d’intolérance, de haine, de régression, de pulsions suicidaires, c’étaient des fascistes d’un autre âge mêlant un savoir-faire médiatique, le détournement artisanal des nouvelles technologies, des discours et des valeurs, l’obscurantisme, la démagogie, le mensonge, la jouissance dans le supplice des éternels boucs-émissaires. Et cette gourde de journaliste danoise tombait dans le panneau au simple fait que le World Trade Center symbolisait la puissance et la centralité de Wall Street alors que j’appris plus tard auprès d’universitaires américains que le capitalisme américain s’était depuis un certain nombre d’années considérablement décentralisé.
Mon amie française qui vivait à New-York depuis une vingtaine ne s’en remettait pas. Elle était à un bout de la ville quand son fils Roméo était à l’opposé. Elle ne pouvait plus décrire la peur qui l’avait traversée. La ville était paralysée. Nous passions des jours à nous téléphoner en nous voyant une fois, deux fois mais j’étais comme eux : fatigué, paniqué _ cet état était le mien depuis un certain nombre d’années _, j’étais pris par l’immense dérèglement d’une mégalopole au point de ne plus savoir brancher mon ordinateur, allumer une lumière dans une chambre d’hôtel, et bien sûr travailler. C’était pire que la perte de confiance en soi et j’avais le sentiment que les New Yorkais partageaient la même fêlure s’ajoutant à toutes celles inhérentes au fait d’avoir subi un gigantesque acte de guerre. Nous vivions dans les cendres, l’odeur, sans notre double repère géographique, l’horreur de cette quotidienneté profanée avant d’être anéantie, le souvenir de ce travailleur colombien sans papier, laveur de vitres au World Trade Center, ces deux collègues ennemis depuis 10 ans dans le même bureau qui ont sauté par la fenêtre en se tenant la main, ce peintre jamaïcain qui avait une résidence d’artiste dans une des deux tours, lui aussi broyés et tous les autres, réduits, à un nom, une photo, une bougie brillant dans les jardins et sur les trottoirs de la ville, les rescapés qui racontaient comment ils avaient retrouvé le plaisir d’être simplement en vie, perdu la joie du souvenir, oscillant entre morbidité et débordements euphoriques.
J’étais dans le trauma, la ville était dans le trauma issu d’un vacarme autrement plus ahurissant. Je me faisais tout petit face à cette douleur et observais comme une souris tous ces gens meurtris qui s’adressaient désormais de façon la plus naturelle à n’importe quel inconnu comme des compagnons de souffrance savaient se reconnaître et s’entendre. Un quadragénaire cancéreux racontait comment son pronostic vital était engagé mais que bizarrement cela devenait secondaire tant il voyait avec émerveillement autant de fraternité. D’autres se racontaient comment ils étaient auparavant en acier dans une ville d’acier et qu’aujourd’hui ils étaient dix fois plus humains. New York tirait ainsi d’elle-même une incroyable force qui lui permettait de résister et de faire face à la menace d’une attaque nucléaire dont le modus operandi restait à définir mais tout semblait tellement possible…

Nouveaux corps et esprit

Zyprexa, c’était le médicament miracle. Il était enfermé dans du beau papier argenté. Il évitait de se faire interner. Il faisait prendre trente, puis quarante kilos en quelques semaines, provoquait le diabète en effet secondaire. Je pris tout d’un coup : les kilos et le diabète (soins intensifs et tout le reste).
Il fallait absolument soigner cette paranoïa, me disait le discours amical et médical du journal. Il ne fallait pas soigner le fait que j’avais été soumis à un danger, subi une agression (le poison), voire un viol de la personnalité via ses effets. Il ne fallait pas investiguer de ce côté-là, soumettre le Georges à la question, alerter les services secrets pour expliquer les faits, procéder le plus rapidement possible à des analyses de mon sang qui avait absorbé une « bombe atomique » chimique. Rien de ce côté-là. En revanche un solide dispositif d’échanges de couloir, de recommandations au café s’était mis en place pour me convaincre que c’était moi qui était devenu malade, que cette paranoïa m’était tombé dessus parce que j’avais trop donné dans les reportages de guerre, d’autres reportages difficiles, qu’il fallait prendre du recul, envisager une nouvelle vie. Pour moi, c’était broyer à jamais cet épisode du poison, du bâton qui tapait à ma fenêtre toute la nuit, du mystère de ce journal trafiqué. Il fallait non pas résoudre les problèmes que cela posait, ni même se guérir correctement des effets de cette agression mais créer carrément une autre identité, celle d’un journaliste-reporter qui à trente-huit ans développait une maladie survenue de nulle part, ou disons d’une peur, d’hallucinations, de stress. J’étais psychiquement réinventé, une réalité (celle des faits de Podgorica) disparaissait, elle devint à l’instar de ce fameux Georges tabou.
J’étais au bout d’un moment découragé d’asséner tout le temps que j’avais été empoisonné, finis par me laisser faire, pris le médicament et voulus me mettre à l’abri avec lui. Il me faisait oublier, dormir quatorze heures par jour, manger davantage, retenir l’eau de mon organisme. Je savais qu’il me fallait un médicament pour me soigner des effets d’un traumatisme subi, pas un de ceux qui signait le fait que je l’aurais inventé et ensuite sur interprété. Quand je repense à cette eau de la bouteille de la cuisine de Podgorica, je me souviens encore de l’explosion dans ma tête, de la panique qu’elle a engendrée, des troubles d’accusations odieuses que je proférais contre moi-même. Ce poison m’avait bien déréglé. Il m’eût fallu l’antidote. A défaut, je prenais ce zyprexa pour m’engourdir. J’avais tellement besoin de dormir. Je cherchai avec énergie à sortir des griffes du psychiatre pas sympathique surlequel le journal m’avait dirigé, pour passer par une consultation à la clinique Laborde et échouer dans le cabinet de son correspondant parisien, très à l’écoute et soi dit en passant, attachant une grande importance à mon aventure de ballon, me conseillant de ne me fâcher ni avec cet univers, ni avec le Joueur, ni avec le langage cosmique qui nous unit et d’écrire sur ce savoir que je suis constitué afin de le diffuser.
J’appris à changer de vêtements, à réaliser que je n’habitais plus mon corps, souvent mal latéralisé quand je croisais des gens dans le bus ou le métro, les bousculant, pas encore conscient que mon enveloppe, ma carrure s’étaient élargies, pas encore vraiment informé que j’étais devenu un gros, qu’il fallait appréhender d’une nouvelle manière l’espace, la foule, les poteaux, les obstacles et le regard des autres.
Seul un ami s’excitait avec moi sur une plage de Biarritz. Photographe, il devenait fasciné par mes courbes : du crâne, des bras, du ventre, de l’ensemble rond. Il mitraillait et réussit à tirer quelques clichés de drôles d’hémisphères…
Au travail, je me mis en tête de raconter l’Opéra de Paris de l’intérieur. Ca me reposait de lézarder à la cafétéria de l’école de danse à Garnier, de m’émerveiller sur ces corps sculptés, de traîner à la salle des perruques, d’assister avec assiduité aux répétitions des Noces du Figaro même j’étais sur le cul d’entendre au café le chef d’orchestre suisse bourré marmonner des blagues antisémites. Il y avait des syndicalistes revendicatifs, d’autres désespérés racontant l’alcoolisme, l’ennui, la routine. Il y avait le miracle du chant, de Mozart, des machineries, des saillies d’humour et de fantaisie. Je marchai au ralenti, y allai tous les jours comme j’allai à un centre de rééducation. Je découvrais ce que voulait dire prendre son temps. Cela me guérit un peu.
Au journal cela devenait récurrent de me signifier qu’une page était tournée, que j’entrais dans le clan des vieux. Je ne voulais pas me sentir fini : j’avais trente-huit ans…