vendredi 15 janvier 2010

J’appelai le Chanteur. Cette fois, il me répondit. Il blaguait, parlait par métaphores, jeux et pirouettes avec les mots comme il savait si bien le faire dans ses chansons. Je n’insistai pas.
Je fus surpris de voir guetter deux de ses danseurs de hip-hops à la sortie de chez moi. Il portait des pantalons larges dont les plis formaient des sexes masculins ou des flèches marquant une direction. Celles-ci renvoyaient sur d’autres hommes portant les même jeans et les mêmes plis. J’allais comme ça d’homme en homme avec un air d’enfant abandonné cherchant à remonter les cailloux du Petit Poucet.
C’est ainsi que je pris le métro, puis le RER, puis le bus et que je me suis retrouvé à la cité du Val Fourré à Mantes-la Jolie.
Des enfants jouaient au pied des arbres entre deux immeubles. De petites allées contournaient les bâtiments et les arbres, descendaient en escalier, empruntaient des pentes qui m’amenèrent à la mosquée qui ressemblaient à une maison aux murs et aux toits sommaires, bien entretenue. Je n’avais pas remarqué que c’était le lieu de culte. Je m’étais assis car les arbres étaient beaux et j’avais trouvé quelques marches confortables qui desservaient un sol carrelé où je pouvais écrire un nouveau poème au Chanteur. J’étais quasi-certain que si le poème était réussi, celui-ci apparaîtrait au détour d’un immeuble pour m’emmener chez lui.
Des hommes d’une soixantaine d’année sortaient les uns après les autres. Certains me disaient bonjour, d’autre Salah Malekoum et jamais je n’avais connu un aussi grand moment de paix. Je les remerciais du regard, leur répondais avec une voix émue, la gratitude de faire partie de leur monde, et de me projeter dans mon enfance : j’avais onze ans, j’habitais une petite maison de cité ouvrière bordée d’un terrain vague, six ouvriers algériens construisaient là un immeuble et m’avaient chaleureusement pris pour leur fils adoptif malgré la barrière de la langue. J’avais été anéanti par leur départ, une fois l’immeuble construit. C’était de vrais pères, j’étais orphelin. Je crois que toute ma vie, j’essaie inconsciemment de les retrouver, je sais que je n’y arriverai pas. Je n’avais jamais connu un tel amour pour l’innocence de l’enfance. Rien que d’y penser, je suis encore abandonné et j’ai envie de pleurer : je pleure.
Après leurs bonjours, je me ressaisis et vins dans le fast-food au milieu de la cité. Il y avait de jeunes Blacks, super fringués, « jouant les jeunes vrais mecs » qui regardaient des vidéos à la télé en mangeant leurs hamburgers. Ils me saluèrent, me parlaient un peu. Ils étaient cools. Je me sentais bien mais à onze heures, je ne savais pas où dormir. J’errais sur l’allée principale. Une jeune femme m’indiqua l’aubette de bus et l’horaire.
J’atterris à la Défense où je divaguai entre les tours. Les buildings étaient tellement beaux, les reflets de lumières, les formes élastiques, la plastique. J’étais impressionné par la rutilance. Je repensai à mes pouvoirs extraordinaires : l’initiation du cimetière du Père-Lachaise qui me signifiait lourdement que j’avais un lien avec la vie et l’industrie de l’atome, le magnétisme qui me donnait des semelles de plombs et guidait mes pas même contre mon gré, le sens des équilibres physiques et pourquoi pas psychiques dans mes recherches d’harmonie.
Je commençai à croire que j’étais une création du cosmos, comme tout être humain d’ailleurs, mais je savais que je bénéficiais de certains de ses pouvoirs extraordinaires, sans doute parce que je n’étais pas étranger à son origine (hypothèse !).
La Défense était déserte, elle dominait les lumières de Paris et elle semblait s’offrir à moi. Avec la conscience de disposer de ces pouvoirs assez indispensables à la vie économique, je ne résistais pas à la tentation d’imaginer que toutes ces multinationales tomberaient dans mon escarcelle. La farce ! Je n’aimais et n’aime toujours pas le pouvoir !
Je ne voulais pas changer de métier. Je me sentais libertaire, assez rusé pour saisir l’opportunité de faire un bon usage de toutes ces richesses. Tant pis, je ferais un double métier, me lèverais à 6 heures du matin, virerais tous les conseils d’administrations, distribuerais une bonne partie des bénéfices de ces entreprises aux pays sous-développés qu’elles n’avaient cessé de piller, une autre partie des bénéfices aux salariés dont je diviserais le temps de travail par deux pour embaucher autant de chômeurs qu’il y avait de salariés.
J’instituerais un système de formation permanente (la moitié du temps de travail), allez hop on embauchait encore ! Il s’agissait de distribuer 90 % des richesses du monde entier que concentrait cette poignée d’enfoirés. Il ne serait pas obligatoire que cette formation eût un rapport direct avec l’activité du salarié ou de l’entreprise. Par exemple, un ouvrier du bâtiment sans papier qu’on ferait évidemment régulariser pouvait prendre des cours de musique, de littérature ou de haute cuisine. Une secrétaire pouvait faire du droit mais aussi apprendre les langues, la calligraphie chinoise ou arabe, s’installer six mois en Argentine ou en Afghanistan pour écrire un récit de voyage avec ou l’aide d’un écrivain. Les possibilités étaient infinies et les entreprises faisaient juste des bénéfices pour transfigurer l’état des choses et la condition humaine.
Je rêvais et c’était presque une prière. La Défense était silencieuse, Paris offrait ses lumières, cette opulence confisquée aux mains d’une minorité me rendait mystique du partage et de la délibération de l’humanité pour que celle-ci chercha à bien à vivre. Je sentais bien que j’étais limité dans mes plans de bien être, qu’il fallait l’imagination et la décision de tous.
Et je ne voulais surtout pas être l’unique bienfaiteur, le M Bonheur des autres, on avait trop connu de dictateurs, je voulais être un vecteur, être celui du transfert de biens confisqués, espérant des ébullitions collectives pour que ces derniers conférassent le bien-être et agirent comme des starting-block dans la course au soulagement des souffrances, des frustrations, des exploitations, des humiliations, la course où se libéreraient une nouvelle parole, celle du cœur et des recherches d’harmonies, des grammaires entre les hommes et les femmes pour que les échanges fussent perpétuels et égalitaires.
Je rentrai chez moi à l’autre bout de Paris à Gambetta en marchant pieds nus (c’était devenu une manie). Sur les Champs-Elysées, je vis sur un autocar couleur saumon une bastide peinte avec des petits murs de pierres et des cyprès. Je me dis que c’était la résidence du Joueur. J’étais persuadé que le Chanteur et le Joueur m’attendaient chez moi avec des sushis pour faire l’amour.
Pendant tout le trajet, je n’imaginais qu’un seul amant pour des ébats les plus torrides, une nuit éternelle, la plus libérée, la plus sensuelle : c’était le Joueur.

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