vendredi 22 janvier 2010

La déclaration

Depuis que j’avais aperçu, sur les Champs Elysées, l’autocar couleur saumon représentant une bastide avec des cyprès, symbole de paix que j’attribuais au Joueur, un curieux langage s’était mis en place dans mon imagination.
Le Chanteur avait été presque le seul objet de mon obsession mais le Joueur m’avait troublé au point de n’imaginer des ébats amoureux qu’avec lui. Je l’avais vu brièvement à la télévision. Il avait dit : « Je suis fada du ballon ». Et à chaque fois, que je voyais la lettre F sur une plaque d’immatriculation ou une enseigne publicitaire, je pensais à Fada.
Puis ça se compliquait : des voitures-écoles « ECF » me faisaient lire « E, c’est F comme fada ». Puis je lisais DCL, lettres peintes sur une camionnette. Ca faisait « D comme Dominique c’est L ». Ainsi N c’était aussi fada, Z c’était Zizanie, ce qui nous caractérisait moi et le Joueur dès le premier jour où j’ai pris connaissance que j’étais son ballon. B c’était bébé, c’était moi et lui. O voulait dire oméga, mais aussi la fin, disons la fin du travail d’approche et le début d’une nouvelle ère. A signifiait alpha, c’est-à-dire moi, lui.
J’avais ratissé toutes les lettres de l’alphabet sans oublier M qui voulait dire amour.
Quand je me réveillai après avoir bien descendu le Joueur la veille sur son côté icône de la France (et du monde) déchue pour devenir une simple et minable grosse machine publicitaire, je regardai à nouveau le Joueur à la Une de l’Equipe.
Il avait des petits cheveux qui semblaient mouillés et on aurait dit ceux d’un nourrisson qui venait de naître.
Je fus saisi par de violentes pressions céphaliques qui me fit tourner la tête dans tous les sens. C’était la force des tenailles du magnétisme dans lesquelles j’étais pris depuis le Père-Lachaise et je commençais à en avoir l’habitude. Ma tête bougeait, bougeait et s’arrêta brutalement, forçant mes yeux à fixer très brutalement la lettre M. Mon regard ne pouvait s’en détacher.
Dans ces cas de fort magnétisme, mes yeux regardaient fixement, ça m’évitait des douleurs mais permettait une précision dans le choix d’une lettre, d’une ligne ou d’un objet à scruter. Le magnétisme fit bouger mon regard de la lettre F à M puis à D : « FMD = Fada aime Dominique ».
La Une de l’Equipe comportait suffisamment de lettres imprimées pour qu’un langage sommaire pût s’établir comme dans une séance de spiritisme.
Ainsi je pus lire : « je suis seul » après que mon regard ait été contraint de fixer plusieurs fois sa pointe de petits cheveux qui descendait en haut de son front. Je la fixais tellement longtemps que les lignes du triangle se mirent à trembler. Le Joueur me répéta « JE T M ».
Il fit pointer mon regard sur un point d’interrogation. Je compris à force de considérer ce ? puis son visage, ses petits cheveux, puis la grosse lettre M de la manchette, qu’il me demanda si je l’aimais moi aussi. J’éclatais de rire en me rappelant ce que j’avais formulé sur lui la veille :
- Franchement, je ne sais pas.
Le magnétisme me fit fixer la lettre J, ce qui dans notre langage commun signifiait le Jour de la rencontre, le grand jour J. Et il me fit déplacer mes yeux les lettres P A I X. Jour de paix.
Je lui demandai :
- Y compris dans mon cœur ?
Il répondit : oui.
Je lui dis :
- Je ne sais pas. On ne se connait pas. Je trouvais sympathique, même plus que ça en 98. T’étais une sorte de sauveur, pas seulement en foot qui m’indiffère, mais pour tout ce que tu as provoqué dans les cœurs et les esprits. Maintenant, regarde ce que tu es devenu.
Il pointa ma tête sur une ligne blanche de mon tapis iranien. Plusieurs fois. Puis joua avec les lettres P A I X.
- Je trouve que tu appartiens maintenant à l’autre camp, celui de la minorité qui a indûment capté toutes les richesses de la planète.
Il fait déplacer ma tête de lettre en lettre : F A U X.
-Est-ce qu’un jour, on se rencontrera pour en parler ?
Il répondit : O U I
- Mais tu insistes toujours sur ta vie de famille, ta femme, tes enfants etc…
Le magnétisme se fit plus fort et je décrypter grâce aux legttres soigneusement choisies (cela dura longtemps !).
- ELLE : BELLE SŒUR EUX : NEVEUX.
C’est à ce moment là que le téléphone sonna. C’était le Chanteur qui prenait de mes nouvelles. J’étais heureux de lui annoncer que je n’étais plus amoureux de lui. Il me parla du Joueur.
- C’est lui, t’as le béguin pour lui ?
- J’en ai peur. Son allure de superstar publicitaire me déplaît.
- Mais c’est un dieu ce mec. Si tu veux, on prend un avion ensemble et on attend dans un café près de chez lui. On sera sûr de le rencontrer.
Je ne dis ni oui ni non.
-N’oublie que tu es son ballon.
Moi, je n’oubliais qu’il était en relation directe avec les services secrets. Je jouai l’enfant, insistant bien sur mes hésitations, en pensant avec le délice de l’ironie : « regarde bien comme je t’embrouille ».
C’est alors que je réalisai que les mœurs de mon journal m’apprirent à jouer les agents doubles, voire triples, tout en détestant ça, tout en aimant ça. Mais c’était une question de survie.
Je l’aurais aimée plus simple.

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