jeudi 4 février 2010

Les enfants du paradis

- J’hallucine, tout est à dix centimes !
François, un lycéen en classe de terminale, croise son copain Farouk. Ils ont l’habitude de traîner gentiment à Gambetta. François a un sac rempli de bouteilles de champagnes, de bonbons, de gâteaux secs, de CD, de foie gras et de saumon.
- Viens on va se faire une Play station. On va teaser comme des malades. Après, on pourra aller à la Bellevilloise. Il y a une fête énorme tout comme à la caserne des pompiers, au gymnase et je crois bien sur la place Gambetta à ciel ouvert.
Farouk n’en croit pas ses yeux.
- Ca y est ? Il l’a fourrée alors !
- Ouais. Et bien. T’as vu comment ça donne. Sarkozy, il est mal. On l’a transporté au Val de Grâce pour le calmer.
- Ce sont vraiment des champions. Ils ont remportée la partie d’échecs. C’était pas gagné. Mon père, on lui a déjà dit qu’il ne travaillerait plus. Vingt ans dans le bâtiment, dont dix sans-papiers, un accident du travail, il a droit de se la couler douce maintenant. T’aurais vu la tête de mes vieux quand ils ont vu leur transfert d’argent sur leur compte en banque !
- Et les miens ! Les billets d’avions open pour n’importe quelle destination, ça les a fait kiffer. Eux, ils vont d’abord bosser à mi-temps, puis à quart temps et sans doute pas du tout si la contre-matière agit bien.
Les deux adolescents débouchent une bouteille de champagne et la boivent à grosses gorgées.
- Pour de la contre-matière, c’est excellent. Les vieux disent que le goût des légumes est encore meilleur que de leur temps. C’est top, non ?
-T’as vu tous ces restaurants dans la rue. Ils n’existaient pas avant. Regarde la carte : le menu est à 1 euro et à cinquante centimes pour les familles nombreuses !
Indiens, Ethiopiens, Afghans, Japonais, Brésiliens, Indonésiens, Russes, les restaurants sont apparus dans la nuit rue de la Chine, rue de la Cour des Noues, rue Boyer, avenue Gambetta. Certains ont des terrasses rutilantes. D’excellentes brasseries à grande tradition gastronomique française et italienne ont aussi vu le jour.
- Il parait que ce sont des fines gueules nos martiens. Ils adorent bouffer.
- Et baiser !
François et Farouk attendent sur Internet que soit mis en ligne le poème d’amour que la « bouffonne » a écrit pour son Joueur. Ils en profitent. Ils savent qu’après quelques jours, ils respecteront leurs vœux de discrétion et de vie dans un relatif retrait du monde. Ils ne veulent pas devenir des héros, ils n’en sont d’ailleurs pas, des héros, seul le cosmos est héroïque si l’on peut dire. Il est tellement Tout. En tout cas il a voulu parler à travers ces deux créatures qui n’aspirent qu’à une chose : être comme les autres êtres humains qui l’entourent. Que rien ne soit perverti par ce qu’ils ont vécu ou permis : dans les rapports à leurs amis, aux inconnus à qui ils adresseront la parole, les envies d’écriture, de danse, de peinture et plein d’autres choses encore que la bouffonne veut satisfaire, le football que le Joueur veut jouer, ses autres activités qui en surprendront plus d’un, lui qu’on a si longtemps rangé du côté des prisonniers du ghetto du foot. Le star system tue, broie, déshumanise, dématérialise, coupe du réel et de la conscience de la limite, enferme, hypnotise avec les vanités, les convoitises, les frustrations, les caprices, travestit le désir, se défait du réel pour l’illusion, rend l’encéphalogramme plat et empêche toute création.
François et Farouk sont légèrement éméchés sans plus. Pour une fois l’alcool ne les rend pas lourds et limités. Il leur ouvre même de nouvelles sensations, une nouvelle imagination : ils ont envie de vivre en direct le Big Bang dans toute sa beauté, sans peur ni violence. Ils se disent que ce sera bientôt possible grâce à Internet. Ils aimeraient être une femme une journée, ils se disent que c’est possible avec le jeu de la contre-matière, un cheval une heure, une grand-mère ou un grand père, un bébé, le grand frère ou la grande sœur qu’ils n’ont jamais eu. Ils savent qu’ils sont entrés au Royaume du Jeu et que le cosmos n’aime rien moins que de voir son humanité pleinement ludique. Rien ne sera obligatoire, la liberté avant tout, mais le rêve au pouvoir. Le plaisir mais le vrai plaisir pas celui que l’on se sent contraint de vivre ou qu’on imagine avec la douleur ou le leurre d’un formatage.
Ils savent que leurs galères avec les filles, c’est fini. Ils vont rencontrer des filles, c’est sûr. Ils ont l’impression de ressentir tellement mieux leurs émotions et celles des autres, d’avoir appris tellement de choses en vingt-quatre heures. Ils ont envie de rire, d’échanger des idées, de se disputer, de se charrier, d’appréhender au sens de pouvoir se faire éponge pour vouloir absorber toute la substance de l’autre, la comprendre, tout simplement la connaitre et jouer les dandys ou les sensibles quand ils prononceront un mot qui touche, caresse et qu’ils savoureront ensuite le plaisir d’écouter un silence, une phrase qui ne se termine pas, un bafouillement, la tension d’une recherche. Ils savent qu’ils sont désormais bien équ- J’hallucine, tout est à dix centimes !
François, un lycéen en classe de terminale, croise son copain Farouk. Ils ont l’habitude de traîner gentiment à Gambetta. François a un sac rempli de bouteilles de champagnes, de bonbons, de gâteaux secs, de CD, de foie gras et de saumon.
- Viens on va se faire une Play station. On va teaser comme des malades. Après, on pourra aller à la Bellevilloise. Il y a une fête énorme tout comme à la caserne des pompiers, au gymnase et je crois bien sur la place Gambetta à ciel ouvert.
Farouk n’en croit pas ses yeux.
- Ca y est ? Il l’a fourrée alors !
- Ouais. Et bien. T’as vu comment ça donne. Sarkozy, il est mal. On l’a transporté au Val de Grâce pour le calmer.
- Ce sont vraiment des champions. Ils ont remportée la partie d’échecs. C’était pas gagné. Mon père, on lui a déjà dit qu’il ne travaillerait plus. Vingt ans dans le bâtiment, dont dix sans-papiers, un accident du travail, il a droit de se la couler douce maintenant. T’aurais vu la tête de mes vieux quand ils ont vu leur transfert d’argent sur leur compte en banque !
- Et les miens ! Les billets d’avions open pour n’importe quelle destination, ça les a fait kiffer. Eux, ils vont d’abord bosser à mi-temps, puis à quart temps et sans doute pas du tout si la contre-matière agit bien.
Les deux adolescents débouchent une bouteille de champagne et la boivent à grosses gorgées.
- Pour de la contre-matière, c’est excellent. Les vieux disent que le goût des légumes est encore meilleur que de leur temps. C’est top, non ?
-T’as vu tous ces restaurants dans la rue. Ils n’existaient pas avant. Regarde la carte : le menu est à 1 euro et à cinquante centimes pour les familles nombreuses !
Indiens, Ethiopiens, Afghans, Japonais, Brésiliens, Indonésiens, Russes, les restaurants sont apparus dans la nuit rue de la Chine, rue de la Cour des Noues, rue Boyer, avenue Gambetta. Certains ont des terrasses rutilantes. D’excellentes brasseries à grande tradition gastronomique française et italienne ont aussi vu le jour.
- Il parait que ce sont des fines gueules nos martiens. Ils adorent bouffer.
- Et baiser !
François et Farouk attendent sur Internet que soit mis en ligne le poème d’amour que la « bouffonne » a écrit pour son Joueur. Ils en profitent. Ils savent qu’après quelques jours, ils respecteront leurs vœux de discrétion et de vie dans un relatif retrait du monde. Ils ne veulent pas devenir des héros, ils n’en sont d’ailleurs pas, des héros, seul le cosmos est héroïque si l’on peut dire. Il est tellement Tout. En tout cas il a voulu parler à travers ces deux créatures qui n’aspirent qu’à une chose : être comme les autres êtres humains qui l’entourent. Que rien ne soit perverti par ce qu’ils ont vécu ou permis : dans les rapports à leurs amis, aux inconnus à qui ils adresseront la parole, les envies d’écriture, de danse, de peinture et plein d’autres choses encore que la bouffonne veut satisfaire, le football que le Joueur veut jouer, ses autres activités qui en surprendront plus d’un, lui qu’on a si longtemps rangé du côté des prisonniers du ghetto du foot. Le star system tue, broie, déshumanise, dématérialise, coupe du réel et de la conscience de la limite, enferme, hypnotise avec les vanités, les convoitises, les frustrations, les caprices, travestit le désir, se défait du réel pour l’illusion, rend l’encéphalogramme plat et empêche toute création.
François et Farouk sont légèrement éméchés sans plus. Pour une fois l’alcool ne les rend pas lourds et limités. Il leur ouvre même de nouvelles sensations, une nouvelle imagination : ils ont envie de vivre en direct le Big Bang dans toute sa beauté, sans peur ni violence. Ils se disent que ce sera bientôt possible grâce à Internet. Ils aimeraient être une femme une journée, ils se disent que c’est possible avec le jeu de la contre-matière, un cheval une heure, une grand-mère ou un grand père, un bébé, le grand frère ou la grande sœur qu’ils n’ont jamais eu. Ils savent qu’ils sont entrés au Royaume du Jeu et que le cosmos n’aime rien moins que de voir son humanité pleinement ludique. Rien ne sera obligatoire, la liberté avant tout, mais le rêve au pouvoir. Le plaisir mais le vrai plaisir pas celui que l’on se sent contraint de vivre ou qu’on imagine avec la douleur ou le leurre d’un formatage.
Ils savent que leurs galères avec les filles, c’est fini. Ils vont rencontrer des filles, c’est sûr. Ils ont l’impression de ressentir tellement mieux leurs émotions et celles des autres, d’avoir appris tellement de choses en vingt-quatre heures. Ils ont envie de rire, d’échanger des idées, de se disputer, de se charrier, d’appréhender au sens de pouvoir se faire éponge pour vouloir absorber toute la substance de l’autre, la comprendre, tout simplement la connaitre et jouer les dandys ou les sensibles quand ils prononceront un mot qui touche, caresse et qu’ils savoureront ensuite le plaisir d’écouter un silence, une phrase qui ne se termine pas, un bafouillement, la tension d’une recherche. Ils savent qu’ils sont désormais bien équ

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