A mon retour d’Egypte, je retrouvai Fejria et j’étais fou d’elle. C’était la joie de vivre, l’espérance qu’elle me désire. Je remarquai au passage qu’à Louxor, j’avais été séduit par des hommes, j’avais même goûté au plaisir de m’imaginer femme. Fejria faisait disparaitre toute attraction pour les hommes. J’achetai mon premier cadeau : un magnifique vase. En lui remettant, je lui dis que c’était le réceptacle des innombrables bouquets de fleurs que je lui offrirai. Elle me regarda très affectueusement, me dit que ça n’allait pas être possible, qu’elle était « mariée », qu’elle avait un enfant, voilà. Je me souviendrai toujours de son regard à ce moment-là si tendre et contrariée.
Je ne m’en remettais pas. Je me disais qu’avec les années, elle finirait par céder. C’était sûr qu’on s’aimait.
En attendant j’avais une poussée d’hétérosexualité qui me surprenait. J’avais déjà goûté mais cette fois-ci je voulais savourer, surpris par des bouffées de désirs qui m’apparaissaient authentiques.
J’arrêtai mon régulateur d’humeur et tout se dérégla. Oubliée Fejria, je tombai sur une jeune femme venue d’Angleterre, encore fascinée par la violence anti fasciste de son copain skinhead londonien. Elle m’apparaissait larguée. Nous parlions souvent de cul crûment. Un jour, elle me fit une proposition :
- Si tu veux on peut baiser ensemble. Si ça peut te dépanner, ça m’est déjà arrivé de déniaiser un gay.
Son visage était très joli, son corps était une bombe. Elle changeait souvent de copain, déboussolée. Quand nous avions des conversations sérieuses, je ne comprenais pas toujours ce qu’elle me disait tant ça ressemblait un salmigondis de formules un peu théoriques captées ici ou là. Ce n’était pas elle qui parlait. Par contre dans nos échanges affectueux, elle était vraiment présente. Je crus à la validité de sa proposition. Dans un miroir, j’observai mon visage et imaginais le sien superposé au mien : me vint l’envie d’avoir un enfant avec elle. Un soir, elle m’invita à dormir dans son lit. J’étais nu, elle avait gardé un string. Nos orteils se touchaient, je bandais contre son dos. Elle rigolait, répétait non. Je lui disais : rappelle-toi ta promesse. Et elle de dire que non, c’était non.
Il me semblait qu’une femme inconnue m’aimait. Surgit une troisième jeune fille, ce fut le fiasco. Je finis en vain par l’attendre dans une chambre Mercure de la gare de Lyon. Radio Nostalgie diffusait des tubes anciens et une voix grave répétait « La légende du siècle ». J’étais assez euphorique pour croire qu’il parlait de moi. Je pensai être filmé dans la chambre, être rejoint par elle, j’imitai un coït sur le lit, écrivit un poème qui commença par « 1-2-3 Nous irons au bois ». Je regardais les émissions religieuses et me convertis aux trois monothéismes. J’étais en larmes au moment de la prière vers la Mecque et me retrouvai dans la gare en train de mendier une pièce à tous les Maghrébins que je croisais en les appelant mon frère.
Puis je dérivai dans Paris. Je savais qu’il y avait quelque chose d’exceptionnel en moi mais je ne savais pas quoi, convaincu en tout cas que ça allait se terminer par une fête avec la direction du journal et mes confrères. Ca aurait été un grand banquet où fêterions l’abondance de noueaux moyens pour faire un journal plus indépendant, plus étoffé, plus critique, populaire et de meilleure qualité à la fois. Je croyais que ça allait être la fin pour moi des reportages de guerre ou sur l’électorat du Front national, la fin du stress, de l’astreinte, des urgences. J’allais être un journaliste reposé qui plus est avait enrichi mon journal.
Il fallait pour cela que je suive un jeu de piste dans Paris où un signe me faisait créer une triangulation avec deux autres signes. Je croyais que des caméras ultra-puissantes me filmaient depuis la tour Eiffel. J’étais épuisé. Je ne me sentais à la hauteur de l’explorateur que l’on attendait de moi. Je finis par craquer en entrant dans une petite banque. Au guichet, je simulai un malaise cardiaque. Les pompiers arrivèrent, m’allongèrent sur un brancard et je fis un doigt à un pompier en le traitant cinq fois « d’enculé, je vais te baiser ». Celui-ci était fou furieux, raconta que je simulais. Ils appelèrent alors la police qui m’embarqua dans son fourgon, je simulai un nouveau malaise assez convaincant pour que je repasse entre les mains des pompiers. Je retrouvai celui que j’avais martyrisé et réitérai les mêmes injures en déconnant. Cette fois-ci je passai une nuit à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Le médecin me relâcha.
J’errai à nouveau dans Paris. Je me prenais pour un nouveau ictor Hugo, j’avais assez écrit sur les souffrances des peuples. Peut-être qu’une révolution secrète avait eu lieu, une révolution de velours de refondation républicaine, et ce n’était pas très clair dans ma tête, mais j’y avais tenu un rôle discret mais prééminent.
Je crus qu’une foule m’attendait sur les Champs-Elysées. Je pris le métro. J’étais habillé d’un beau costume, d’une chemise, d’une cravate et de chaussures élégantes. J’étais toujours aussi débordant d’euphorie. Je fis un numéro de claquettes tout en tournant autour de la barre d’appui. Un jeune lycéen rebeu me regarda avec émotion. Je me dis que c’était peut-être la dernière fois que je prenais le métro et j’en conçus une certaine nostalgie.
Sur les Champs, il n’y avait que des passants. J’abordais les femmes accompagnées de leur mari en tournant autour d’elle avec mes bruits de claquettes qui reprenait la rythmique de « Prends garde à toi » de Carmen. Les femmes et les maris étaient souvent souriants. Pour moi, c’était le dernier challenge à accomplir. Je voulais retrouver mes amis et le banquet. Je notais que les voitures ralentissaient à ma hauteur, les passagers me souriaient, je crus qu’ils voulaient m’inviter à monter à bord pour me conduire au banquet de la victoire.
Je choisis une vieille caisse défoncée avec à bord à trois mecs qui reseemblaient et parlaient comme des petite frappe. Ils voulurent m’emmener au bois de Boulogne pour « faire le petit train ». Je refusai, commençai à avoir.
-Où veux-tu aller, alors ?
- Je ne sais pas. Conduisez-moi à mes amis, c’est eux qui m’attendent vous le savez.
On fit plusieurs tours dans Paris à tergiverser. Puis le chauffeur s’énerva.
- Puisque c’est comme ça, on a au Stade de France.
Et il prit l’autoroute du Nord, les tunnels qui menaient à l’édifice. Je protestai. Un téléphone sonna. Le chauffeur décrocha et me tendit le combiné :
- Tiens, c’est un ami à toi qui veut te parler.
J’entendis un allo qui faisait beaucoup d’écho, comme si elle alimentait une sono géante.
- Allo Dominique.
Je pris peur. Pour moi c’était la voix du Directeur du Musée. Pourquoi une telle coïncidence ? Je ne voulus pas lui parler. Je répétai aux autres que maintenant ça suffisait, il fallait que ça s’arrête.
Ils me lâchèrent dans une mini décharge publique au pied d’une cité en m’envoyant un coup de poing au foie et en me disant, eux ces parfaits inconnus :
- Et bien maintenant, termine le ton roman.
Effectivement, j’en écrivais un. Comment le savaient-ils?
Je fis un concert de percussions en frappant sur des portes de boxes de garage. Les lumières des immeubles s’allumèrent. Des policiers arrivèrent, me menottèrent et me conduisirent aux Urgences. Je fus interrogé par un psychiatre. La préfecture décida de m’interner à l’hôpital psychiatrique de la Maison Blanche sur la base d’un faux témoignage d’une aide-soignante de l’accueil. Celle-ci a délibérément menti en déclarant que je l’avais dragué, voire harcelé. Je n’avais croisé aucune femme pendant mon attente aux Urgences, solidement encadré par des policiers. Pourquoi ce faux ? Pourquoi en avaient-ils besoin ? Je n’ai toujours pas la réponse.
lundi 22 février 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire