vendredi 19 février 2010

Louxor

J’étais donc en partance pour l’Egypte, aéroport d’Orly, en compagnie du Directeur du musée organisateur de l’exposition dont nos reportages allaient assurer la promotion. Toute la presse était là, y compris Paris-Match. Nous attendions au comptoir à bagages et je fus très surpris de voir le Directeur se poster devant moi, se retourner et se pencher pour, me sembla-t-il, offrir une vue imprenable sur son postérieur. A part ça, il était sympathique, plutôt bel homme, toujours un livre à la main. A l’arrivée au Caire, je surpris son regard qui scruta, avec un plaisir de voyeur non dissimulé, mes yeux posés sur un gros douanier que je trouvai assez érotique.
Nous prîmes possession de nos chambres dans un palace à Louxor. Au premier rassemblement dans la salle à manger, un serveur qui avait la particularité d’être un très beau jeune homme, se précipita sur moi et ouvrit ma veste en me caressant le torse :
- Quel beau vêtement !
Le Directeur ne perdait pas une miette du spectacle et semblait se régaler. Moi j’étais très en colère de cette intrusion, de cette drague qui puait la grossièreté et un mauvais coup. J’avais une certaine expérience dans ce domaine. Je le repoussai énergiquement. Il insista encore pour me toucher, chercher à croiser mon regard, voire à être caressant. J’étais troublé : c’était peut-être l’un des plus beaux hommes de ma vie que j’ai jamais rencontré mais son attitude était brutale, presque celle d’un violeur. Je m’assis et j’avais peur de lui, de sa violence.
Sur les ruines du village des artistes des pharaons, je découvre avec délice l’histoire de ces hommes et femmes entièrement consacrés à la beauté des tombes. Les hommes travaillaient, les femmes s’occupaient de la maison et de l’éducation des enfants en cultivant un talent magnifique de poétesse. Dans ce village les gens se mariaient entre eux et c’est ainsi qu’était apparu une lignée. Vue la taille modeste du village, la question de l’inceste se posait peu ou prou. Je l’abordai, on me rassura.
On visita une tombe de reine fermée au public. Le directeur du patrimoine de Louxor était un homme âgé, intarissable et convaincant sur son amour des femmes. Il était drôle. Il nous conduisit dans la stèle funéraire et là, je fus saisi par autant de beauté. C’était une deuxième chapelle sixtine à « la pharaonne » mais beaucoup plus belle encore. Je ne pouvais m’en détacher, je demandai cinq minutes supplémentaires. On me laissa seul. J’aurais voulu passer le reste de ma vie à cet endroit. Le haut fonctionnaire égyptien vint me chercher et m’arrêta dans l’escalier qui commençait à être baigné de lumière. Il me regardait de façon très profonde dans les yeux et il me parlait de la beauté du regard des femmes. Il était très habité par ses paroles, très délicat et ne quittait pas mon regard. J’avais l’impression d’être une femme et phantasmait sur le fait qu’il voulait parler de mes yeux. J’étais à deux doigts d’en tomber amoureux.
Nous nous rendîmes à un temple en restauration. Un ouvrier au visage buriné et rustique me regarda, un air un peu troublé, indifférent, insistant et toujours disponible pour vérifier si un plan de sexe était possible, sortit de son ambivalence pour me désigner la porte. Je la franchis, il me rejoignit. Il me guida derrière l’édifice où il souleva sa djellabah pour m’offrir son sexe raide. Je le caressai un peu. Mais j’étais gêné par autant de facilité. Je ne le désirai pas, je n’aimai pas cette situation. Un journaliste posté sur le toit nous surprit et fit mine de ne rien voir. J’étais réellement mal à l’aise et partit pour le déjeuner sous une tonnelle.
Je me restaurais et surprit le Directeur du musée chuchoter au serveur qui m’avait agressé en voulant me séduire :
- Il a peur.
Je lui demandai ce qu’il venait de lui dire. Il ne me répondit pas, embarrassé. Ensuite lorsque nous étions sur un site qui avait été le théâtre d’un attentat islamiste, j’étais à côté de lui. Je lui rappelai l’attentat. Il avait le visage décomposé. De grosses gouttes perlaient sur ses tempes. Il bafouillait au lieu de me répondre, je lisais une grande panique. J’étais censé faire un deuxième petit reportage publiable immédiatement. Il était très inquiet sur son contenu, très craintif que je parle de lui, du musée, je ne sais quoi d’autre. C’était étrange.
Puis nous allions sur un autre site où un conservateur effectuant des fouilles fit une longue intervention qu’il ne cessa de ponctuer par des silences où il me regardait fixement et de manière pas franchement sympathique, comme s’il retenait une colère contre moi. Cela me déstabilisait d’autant qu’il parla d’absence d’inceste chez ces artistes de pharaons et des dangers d’interprétations totalitaires. Je ne peux être précis car une grande panique s’empara de moi. Je retrouvai soudain celle qui s’empara de moi au Monténégro après mon empoisonnement. Elle avait la même intensité, la même dangerosité, les mêmes effets dévastateurs.
Il parlait, il était en colère contre les totalitaires et j’étais persuadé que c’était moi l’accusé. Les autres journalistes s’écartait de moi et le même processus qu’à Dubronik s’enclencha. Les uns et les autres semblaient m’accuser, eux aussi, par de petites réflexions, insinuations, sous-entendus, autant de flèches qui me mirent à terre. Nous rentrâmes à l’hôtel. Il y avait un grand dîner avec le directeur du patrimoine.
Enfermé dans ma chambre, je vécus le supplice des pensées parasites qui revenait. Il fallait que je me répète que je n’étais pas nazi, fasciste, pédophile, l’incarnation du Mal même si j’étais persuadé qu’aux yeux de tout le monde, j’étais devenu répugnant et un concentré de tous les crimes. C’était vraiment comme à Podgorica, ce qui me fait penser maintenant que j’avais avalé un poison. Je pouvais plus rien contrôler, entraîné dans une spirale où je ne méritais que l’enfer, une nouvelle fois déchu.
Le téléphone sonna. Un homme anonyme imita des soupirs érotiques et un orgasme. Il recommença trois fois comme cela.
Une conservatrice du musée frappa et entra dans ma chambre, inquiète de mon absence au dîner. Je lui dis que ça n’allait pas, expliqua, sans accuser d’empoisonnement, que j’avais déjà eu des ennuis psychiatriques et que là, j’avais l’impression de faire une grosse crise. Elle voulut me faire parler, me faire raconter mes frayeurs. Je voulus surtout pas lui raconter le contenu de mes pensées parasites, j’avais trop honte et l’impression de me suicider si je le faisais. Je fus donc emmuré dans mon silence. Un médecin me fit une piqûre, je dormis. Et le lendemain tout le monde était gentil.
Le Directeur du musée profita d’un moment pour me montrer sur le mur d’un temple un bas relief de vache dont le centre était orifice annal, très ouvert, presque éclaté.
- Regardez si ce n’est pas beau cela.
Puis il me demanda de me faire visiter la nuit au Caire car je lui avais raconté son incroyable animation.
Arrivé là-bas, il annula. Nous avions un dîner avec un ministre. Le journal voulait me faire rapatrier immédiatement et devant mon refus, me fit signer une décharge. Ce qui fut bizarre, c’était l’insistance mise par le Directeur du musée à faire visiter sa chambre aux journalistes tout en répétant :
- Vous voyez, il n’y a rien.
Une anomalie de plus. Je rentrai désorienté, inquiet de cette nouvelle poussée de pensées parasites, d’une crise supplémentaire, moi qui croyais en avoir été complètement débarrassé.

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