J’écrivais peu, j’avais le sentiment de retrouver lentement mes fonctions journalistiques comme un accidenté de la vie retrouvait ses fonctions psychomotrices. J’étais saisi par des crises de panique dont je me demande encore comment je les surmontais si ce n’était que je me perdais dans les rues, à pied ou en voiture. J’étais incapable de décrire autrement qu’en m’accrochant aux paroles des gens.
J’étais parfois suivi par des agents secrets. Je les voyais faire des filatures et quand je voulus leur signifier que je n’étais pas dupe, l’un d’eux entra dans le tourniquet du hall d’entrée d’une banque et remit discrètement une enveloppe à un homme qui en sortait, un peu comme un dealer de coke faisait sa transaction. J’étais impressionné. Cela surajoutait au malaise ambiant.
Un étudiant de Colombia, surfer californien d’une délicate beauté, m’expliqua qu’il partageait sa chambre avec un Afghan.
- Cela était bizarre entre nous. Encore plus au moment de l’attaque de l’Afghanistan. Nous nous sommes parlé. Maintenant, ça va à peu près.
J’avais oublié ce que voulait dire roomate (compagnon de chambre). Je connaissais ce mot mais j’étais incapable de le retrouver et je me débrouillais en me disant que ça devait être femme de ménage. Mais au fil de la conversation, ça ne collait pas et je n’osais pas lui demander. Quelque chose déraillait, le mot roomate, sa musique, la recherche du sens, sa musique surtout occupait tout mon esprit, je dus interrompre l’interview, conscient du gâchis.
Je me rabattis sur un jeune métis, également canon. Il était gay, disait qu’il ne sortait que dans les bars gays et que rien n’avait changé. Il buvait un verre. Si un mec lui plaisait, c’était OK. Je m’énervai :
- C’est tout ce que tu as à dire. Les tours ont été attaquées. Et toi, tu me racontes ta petite vie ordinaire de gay ?
Comme je reposais plusieurs fois la question en essayant de lui arracher d’autres paroles, il écarquilla des yeux et se parla à lui-même :
- Il est fou ce mec.
Ca m’ébranla encore plus. Je quittai les lieux, réconforté par des nounous brésiliennes qui à Central Park se disaient qu’il ne fallait pas perdre courage. Elles parlaient de leur avenir et d’éventuelles attaques.
Le soir, des cadres d’établissements financiers se posaient des questions sur leur arrogance, le côté nous avons été les maitres économiques du monde, n’était-ce pas inévitable.
- Il faudrait changer.
Les New-Yorkais réfléchissaient tout haut.
Je partis pour la Floride et le New Jersey sur les traces de l’anthrax, ce poison respiratoire envoyé à des membres du Congrès. On soupçonnait Saddam Hussein, c’était vraisemblablement un cinglé d’extrême droite de l’Ohio. Aucun intérêt si ce n’était de m’aménager une petite vie dans un motel que j’aimais dans la sinistre ville post-industrielle de Trenton où des gardes nationaux furent effrayés tout simplement de constater ma présence. Ils m’ont demandé de ne plus bouger dans la salle d’une mairie, de reculer, vérifiant mon identité. Encore plus effrayés, ils m’ordonnèrent de partir au plus vite tandis qu’une fille de la direction du FBI essayait régulièrement de me manipuler par téléphone en me ré-aiguillant sur la piste de Bagdad.
Dans mon motel, ma chambre ressemblait à celle des road-movies du cinéma indépendant avec mon petit frigo, ma bouilloire et un confort kitch et cosy.
Je n’avais plus d’argent, ni médicaments. Le journal devait m’en expédier mais j’attendais toujours.
Je déboulai chez un psychiatre qui se souvint qu’à Orly un Parisien l’avait financièrement dépanné. Il me prescrivit mes « drogues » contre l’angoisse et la panique.
Je revins enfin à New York pour y vivre six dernières semaines.
La ville avait retrouvé son punch et perdu son cœur, se désolait une habitante. Les cœurs, les nerfs, les jambes, les regards d’acier sont de retour, ironisait-elle. Mais New-York est enivrante par son énergie et comme elle l’avait retrouvée, la légèreté et la détermination revenaient.
Je me suis mis à faire du shopping, à boire une nuit avec mes amis, la première vraiment détendue où nous avons ri et nous nous sommes moqués et révoltés contre Georges Bush avec sa croisade contre le Mal…
Je suis parti à la veille de Thanksgiving où dans un bar, un chat me regarda fixement pendant une heure, un chat qui désarçonnait les autres clients :
- Il vous connait ? Il vous reconnait ? C’est étonnant ce qu’il se passe ?
Et je retrouvai Paris comme d’habitude comme une vieille ville italienne endormie Rive gauche, jeune, Africaine, joyeuse et souffrante Rive droite.
mercredi 17 février 2010
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