samedi 27 février 2010

Le fumoir

Lettre d’hôpital écrite au Joueur
Je t’écris du fumoir. Ma radio ne marche plus : j’étais un petit peu las de détecter les messages contenus dans les chansons. En même temps ils m’ont fait vivre des moments d’extase.
Je me suis désormais lié aux uns et aux autres et je goûte désormais aux plaisirs des propos banals qui nous rassurent et font parfois chaud au cœur tant nous nous sentons seuls et à vif. Moi, contrairement à ce que peuvent supposer mes amis et les psychiatres, je n’arrive pas à me sentir isolé et paumé. J’avais simplement l’habitude de parler à toi-même, et à moi-même, et à toi-même…
J’ai discuté avec mon psychiatre de mes pensées parasites. Nous avons parlé du Bien et du Mal que chacun porte en soi, que l’important ce sont les actes que chacun pose dans une vie. Je crois que je n’ai pas mal donné dans ma lutte contre les totalitarismes et pour le travail de mémoire de la Shoah qui impose un devoir de dénonciation des nouvelles barbaries.
J’aimerais tellement relire le deuxième livre que j’ai écrit. Mais je crois que je ne me suis pas trompé : cela parlait d’amour et de réification, de l’homme capable du pire et du meilleur, de la poésie, certainement des temps anciens quand je tentais de réanimer un corps d’argile avec le souffle chaud sortant de ma bouche et d’autres choses dont j’aimerais me souvenir.
Avec ce livre, je me sens vide, amnésique et dévasté. Je me sens déboussolé, un peu perdu entre ses différentes musiques où il y a la nôtre : maintenant, je n’en doute pas dans l’hypothèse où nous avons un lien commun. Mes mouvements de tête vers l’enseigne lumineuse « Sortie » me le confirment.
Mais ne suis-je pas tout simplement devenu fou ? Fou de toi en moi. Le processus s’accélère jusqu’à une nouvelle ère où nous serions débarrassé de la distance, où je pourrais écrire autre chose que des hypothèses. Et voilà que je me vois au tribunal, non, en liberté avec toi. Et pourquoi pas avec N’Diop, le joueur d’Arsenal, Amédée Laroue de Liverpool.
Je suis sur le parking de l’hôpital et j’attends, validant mon texte toujours selon la même méthode : mouvement de tête, yeux fermés puis ouverts sur un signe que j’interprète.
Le moteur d’un diesel ronfle. Je n’ose croire qu’un jour, nous nous rencontrerons dans la paix d’un amour retrouvé ou dans ta haine m’entrainant dans un procès kafkaïen mais je m’égare.
Comment être certain ? Je le suis à 99 %. Peut-être un peu moins. Je suis encore un homme, assis devant l’emplacement réservé aux handicapés. Et j’ai tellement pris de douches écossaises que je me sens condamné à en vivre d’autres, peut-être des moins sévères, moi qui me donne depuis des mois avec une seule envie : connaître ma, notre vérité pour enfin en goûter les fruits : famille heureuse, famille nombreuse.
J’ai l’impression d’être encore un clochard à rester assis sur un banc avec deux tee-shirts, un gilet, un pull, une double doudoune ou l’amant qui t’attend pour la xième fois. Je nous imagine toujours héros d’une résistance contre le scénario du pire que d’aucuns cuisinaient dans leurs marmites infernales, nous les détenteurs du Pi, du carré et du triangle.
Je reviens et le ferai toute ma vie sur mon rêve de créer de la diversité et de la démocratie, une union amoureuse et féconde avec toi, ma colonne vertébrale, complice de tout jour.
Je réalise que je suis aussi assis devant les sirènes de la protection civile. Bruit d’avion, gros porteur. Les oiseaux m’encouragent. Pendant la sortie de cet après-midi, j’ai regardé plusieurs fois la façade arrière de la mairie. Tu n’étais pas là.
C’est l’heure de rentrer chez nous autres les déprimés, ou les trop gourmands de la vie, ou les illuminés ou, ou, ou : que des cas particuliers qui aiment rire ou voudraient guérir et frémir à nouveau.
Depuis le jardin, le ciel est en feu. J’ai vu un homme dans les nuages à la tête de souris ou plutôt de tigre lançant un bras guerrier de profil. C’est un incendie céleste rouge et rose : une femme ou un homme noir, plus loin une d’animal ou plutôt deux danseuses et puis plus rien : le brasier s’est éteint. Le ciel est uniformément gris.
Ai-je commis une gaffe à prendre des notes au lieu de laisser galoper mon imagination et imprimer ce qu’il y aura de traces de notre expérience commune ?
Cette fois, le ciel est encore plus gris et les oiseaux ont définitivement arrêté de chanter.

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