Je me marrais bien quand j’allais visiter l’atelier de l’antipsychiatrie, un lieu, paraît-il, arraché par un mouvement de haute lutte de malades. Il y régnait un parfum de liberté et un mouvement perpétuel d’insurrection contre les médecins et les infirmiers. On y peignait essentiellement des tableaux dont certains avaient une force, un mouvement et des structures impressionnantes.
D’autres étaient réellement creux. J’étais agréablement surpris que l’hôpital donne des locaux et des moyens à des malades qui préconisaient la disparition des médecins, des médicaments, voire même de l’hôpital, un mouvement de l’antipsychiatrie qui m’intéressait même si pour ma part, je n’étais mécontent de ce que je considérais comme un refuge, pas hostile à des médicaments qui calmait mes angoisses sur les agents secrets, quelques personnages du journal propres à générer du trouble et de l’hostilité, même si lorsqu’on est interné, on a une soif inextinguible de retrouver son appartement et la liberté, la ville, la campagne, n’importe quoi mais la liberté. Nous étions vraiment comme des prisonniers. Et Laurent me faisait rêver quand il me promettait qu’un jour, il m’emmènerait dans ses petits coins de banlieue, des petits coins qu’il adorait au bord de l’eau, où nous serions tranquille, à la fois en ville et à la campagne, des petits coins qu’il aimait par-dessus tout depuis son enfance, ça me faisait dire qu’il était amoureux…
Le soir, je voyais Isabelle. Elle s’était jetée du 7e étage d’un immeuble, le soir d’une fête. Ses jambes étaient perdues et corsetées dans des gaines de cuir. Elle se déplaçait en fauteuil roulant uniquement pour aller à la distribution collective des médicaments _ on attendait à la file indienne_ et au réfectoire prendre son repas. Le reste du temps, elle était à moitié dénudée dans son lit, ses volets clos, écoutant Mylène Farmer chanter dans une semi-obscurité : « Je je suis une catine, je suis libertine… »
Nous buvions du nescafé en tirant de l’eau chaude d’un robinet et nous fumions en douce en ouvrant la fenêtre.
Isabelle avait un superbe visage, les traits magnifiquement dessinés autour d’une bouche solaire. Elle était douce, désespérée et sanguine et elle l’avait été énormément à l’air libre. C’était sa cinquième année d’HP et il n’était nullement question de sortie.
Elle m’avait carrément montré de l’hostilité au début. J’ai ensuite tout fait pour rompre la glace, la séduire, lui faire sentir que je l’aimais, que j’étais fasciné par son visage, ses jambes entravées, sa mauvaise humeur, sa résistance, sa solitude, ses fringues gothiques, sa volonté farouche de souligner sa singularité à travers ses attitudes, ses moues, son maquillages, ses tirages de gueule, son allure, la seule à ne pas apparaître comme une « malade » dans ce pavillon.
J’avais vaincu ma timidité pour l’approcher pour la première fois un soir dans sa chambre. Elle m’avait scruté des yeux, puis sourit et m’offrit un café. Elle parla de Mylène Farmer, de tous ses disques et nous nous laissions entraîner dans les mélodies en susurrant les paroles. Elle se retrouvait dans ses fêtes dont la dernière lui avaient été fatale. Elle dit qu’elle était lesbienne, moi je lui répondis : dèpe. Un peu plus à l’aise, je lui caressais le dos et lui fis des petits bisous. Elle rayonnait. Nous nous parlions peu sauf pour nous dire qu’on se faisait chier. Elle voulait retrouver les fêtes, les boîtes, les filles, l’alcool. Nous recréions une ambiance dans la chambre à déconner et à l’enfumer en secret.
Kamel nous y rejoignit tous les soirs. Il n’arrêtait pas de me taquiner :
- Je suis sûr que t’aime les Arabes à cause de leur grosse bite.
Je n’étais pas le dernier à le renvoyer dans les cordes et notre passe-temps était de nous charrier et de rire, de nous lamenter juste un petit peu et nous dire en silence qu’heureusement on se retrouvait tous les trois car nous étions vraiment complices pour nous égayer avant de trouver le sommeil dans notre simili night-club.
Kamel finit par me casser la gueule parce qu’il me jugeait trop « sarcastique ».
Laurent parvint à me faire faire le mur pour que nous blottissions au bord de la Marne avec une bouteille de champagne.
Lisa m’impressionna car elle avait été bibliothécaire et amie de Guy Debord et me chantait des chants yiddish de son enfance après les dîners. J’adorais cette langue.
J’étais sur le cul quand j’appris que Martine avait tout juste quarante ans alors qu’elle en faisait soixante-dix avec sa bouche édentée et ses cheveux blancs. Elle était ici depuis vingt ans et parlait comme une vieillarde-petite fille.
Je sortis de la Maison Blanche et retrouvai le parquet chaleureux de mon appartement, la légère odeur d’ambre et de lavande. Je me sentis retrouver un réacteur de chaleur. Mon corps n’était plus exposé aux quatre vents du parc. Ma coquille était toujours là.
J’avais à inventer une nouvelle vie où mes nombreux amis s’étaient éclipsés, effrayés ou gênés par le tatouage que désormais je portais à jamais : HP.
lundi 22 février 2010
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