A l’intérieur de la tente nomade, le téléphone sonne. La vieille femme décroche. C’est Ali, le frère ouvrier dans le bâtiment exilé à Montreuil. Il est sans papier depuis douze ans. Il exulte de joie. La vieille femme appelle son beau fils.
- Allo ? C’est fou ce qu’il passe, le Sahel ressemble à ce que tu m’as si souvent décris de la Normandie. Si ça continue, je vais faire du fromage !
- A Paris aussi, c’est complètement dingue. Tous les gens sont sortis dehors comme lors de la victoire de la France au Mondial de 98. Tu sais que c’est la paix dans le monde. Toutes les armes, toutes les bombes se sont neutralisées. Ce sont de vieilles casseroles trouées, dis donc. Et la meilleure, tu la connais ? Tout le monde mais je dis bien tout le monde sur cette terre là va avoir le médicament qui rendra éternel.
- - Dis donc, on avait raison les Africains là de croire qu’il fallait participer chacun à la musique du monde et que cette musique allait accoucher du paradis. On a réussi notre pari. Fallait croire que la musique de l’humanité a fini par être la bonne là. Bah, bah, bah, je croyais pas que ça allait venir de mon vivant. Dis mon frère, imagine aussi la jungle dans le désert. Il fait doux, c’est pas croyable. Houuuuuuu, j’ai oublié de te dire le principal : j’ai un fils mon frère. Il est robuste et en avance, pfffffff ! C’est à tomber. Je vais déjà le promener sur un chameau, tu vas voir.
- Tu sais que j’ai six billets d’avions dont un pour Bamako. Fouille bien dans tes affaires, tu en trouveras, j’en suis sûr. J’ai bien envie de revenir. Ce que tu me dis là, le bébé, le désert transformé là, j’ai envie de connaître ça. Au moins visiter, au moins y vivre six mois. On pourrait tenir des fermes et voyager de fermes en fermes, mon frère. En même temps je suis bien ici. Mon immeuble a disparu. Je me suis réveillé dans une immense maison en bois, ça semble signé par ces architectes à la mode, ceux qui font des trucs pour les catalogues de luxe. Eh ben, nous on y est dans le luxe ! On est passé de notre trois pièces, moi, ma femme et mes six enfants, à une maison de deux cents-mètres carrés.
Les Blancs, les Chinois, les Arabes, les Indiens. Tout le monde est content. Ils ont reçu eux aussi de grosses quantités d’or et d’argent. Tout le monde va travailler à mi-temps. Le logement est gratuit, la nourriture c’est tout comme. Moi je ne travaille pas. Il paraît que j’ai trop donné. C’est la conception de la justice et de l’égalité. Il paraît qu’elle va vraiment exister. Il parait qu’il y a un tas de politiciens et de patrons qui sont en prison. Dehors, les gens sont joyeux et disent tous : on a retrouvé nos ancêtres, la sérénité. Les flirts, je te dis pas comme ça y va. Des couples séparés se sont reconstitués. J’ai l’impression que c’est la paix dans les cœurs. Regarde autour de toi, pense aux ancêtres. Ils vont sûrement revenir.
Ahmed détourne la tête, aperçoit quatre nouvelles tentes plantées plus loin sous des arbres. Il va voir. Il est ému quand il retrouve ses deux parents en vie, rajeunis.
- Notre fils chéri ! Nous nous réveillons d’un doux sommeil. Nous étions bercés par la musique de nos enfants. Merci les enfants…
Ahmed retrouve en plus ses quatre grands-parents. La mère d’Aïda enlace son mari revenu à la vie, puis ses parents. Les oncles, les cousins, les enfants morts trop tôt sont là aux sont aussi là, sautillant de joie.
On tue des agneaux et cabris, ramasse des fleurs, allume des feux, sort les instruments de musique traditionnel. D’énormes plats sucrés, salés sortent des tentes. Les femmes s’habillent de vêtements dorés rehaussés de perles trouvés dans les sacs. Les hommes arborent des tenues bleues et blanches. De magnifiques bijoux sont apparus miraculeusement.
Les hommes jouent de la musique qui remonte à la nuit des temps. D’autres Touaregs arrivent en chameaux et se joignent à la fête. Avec, eux les anciens rebelles du groupe Tinarawen déballent leurs guitares électriques et leurs énormes batteries pour jouer leurs morceaux qui font le tour des radios occidentales.
La nuit tombe. On savoure les méchouis, on danse, on s’échange des parfums. La lune prend toutes les couleurs de l’arc en ciel puis redevient blanche pour éclairer les ombres des hommes et des nouveaux arbres du Sahel vert. On ne s’habitue au nouveau bruit des rivières.
Les discussions vont bon train sur les nouvelles vies qui s’annoncent, les voyages, les ruptures qu’il faudra faire pour occuper cette éternité. On parle musique, escales, créations sous des formes qu’on cherche à multiplier, contemplations, jouissance des lieux et des sens, du ciel et de la terre, des gens, des cultures : le vrai nomadisme.
Ahmed entreprend son père suite à la conversation qu’il a eue avec son frère :
- Il paraît que c’est le cosmos qui a voulu tout ça. Il a choisi un homme qui s’est transformé en femme tout en restant quelquefois un homme. On l’appelle la martienne. Elle s’est unie avec le plus grand footballeur de tous les temps le Joueur. On dit que la martienne est son ballon et qu’ils sont inséparables. Mais chut ! Elle veut surtout être tranquille. Ca doit rester un secret…
mardi 2 février 2010
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